"Un trou noir" : l’ex-compagne d’un accusé, témoin clé au procès de la filière jihadiste de Cannes-Torcy, qui avait dénoncé son conjoint pour un projet d’attentat, était jeudi "vraiment désolée" de ne se souvenir de rien, au grand dam de l’accusation.
"Depuis un accident de voiture en 2015, j’ai un trou noir, un blocage complet sur cette période de ma vie", explique devant la cour d’assises de Paris Magali T., jointe par visioconférence.
Son témoignage était attendu : c’est elle qui, le 7 juin 2013, vient dénoncer son compagnon, le Tunisien Maher Oujani, pour un projet d’attentat contre des militaires dans le sud-est de la France.
Magali T., qui vient porter plainte pour violences conjugales dans un commissariat de Cannes (Alpes-Maritimes), est alors très précise, affirme que l’homme qu’elle a épousé religieusement en août 2012 est un islamiste radical qui prépare une attaque contre une caserne pour le 19 juin.
Maher Oujani est interpellé dans les heures qui suivent, avant le tour, quelques jours plus tard, de deux personnes de son entourage, Jamel Bouteraa et Nizar Jabri, eux aussi sur le banc des accusés.
Il s’agit de la deuxième vague d’arrestations dans ce dossier, après celle lancée à la suite de l’attentat à la grenade, le 19 septembre 2012, dans une épicerie casher de Sarcelles, près de Paris.
La cour d’assises spéciale juge vingt hommes suspectés d’appartenir à cette filière dite de Cannes-Torcy pour cet attentat, des projets d’attaque notamment contre des militaires et des départs en Syrie.
Le témoignage de Magali T. marque "un tournant" dans l’enquête sur une filière considérée par les policiers comme "le chaînon manquant" entre la tuerie du jihadiste toulousain Mohamed Merah en mars 2012 et les attentats de 2015 à Paris.
- "Amnésie diplomatique" -
Le président Philippe Roux essaie de l’aider, lui rappelle qu’elle avait avorté trois mois après son "mariage" avec Maher Oujani. "Oui, j’ai perdu le bébé. Avorté ? Peut-être, je ne me souviens pas", répond la jeune femme, cheveux noués sous un fichu.
"Vous avez dit aux enquêteurs que M. Oujani voulait aller dans une caserne et tuer des soldats.
Je ne me souviens pas.
Qu’il était rentré une nuit de Marseille avec un fusil mitrailleur, qui a d’ailleurs été retrouvé chez un autre accusé...
Le choc traumatique a tout effacé. Si je l’ai dit, ça devait être vrai..."
Cuisinée par une avocate des parties civiles, elle reconnaît n’avoir jamais été hospitalisée après son accident de voiture, affirme avoir vu un psychologue mais n’est pas en mesure de fournir un certificat.
"Si je résume, c’est ce qu’on appelle une amnésie diplomatique", lance l’avocat général, Sylvie Kachaner.
Face aux dénégations de Magali T., elle poursuit : "Cette amnésie porte un nom, c’est la peur. Dites-le si vous avez peur, on ne vous accablera pas". Rien à faire.
De l’accusation à la défense, personne ne semble la croire. Mais la jeune femme s’accroche à son amnésie comme à une bouée, presque au bord des larmes, même quand une avocate lui rappelle qu’elle a prêté serment et pourrait être poursuivie pour faux témoignage.
"Un peu en colère", l’avocate de Maher Oujani lui explique qu’elle avait "39 questions" à lui poser. Sans jamais obtenir de réponse, Me Daphné Pugliesi relève des inexactitudes dans ses déclarations, s’étonne qu’il y ait eu autant de vidéos de propagande islamiste "en français" dans les ordinateurs saisis au domicile commun, alors que Maher Oujani est surtout arabophone.
Oujani, qui encourt 20 ans de réclusion criminelle, a toujours nié avoir acheté une arme à Marseille ou nourrir un quelconque projet jihadiste.
L’avocat général lui fait alors remarquer que des écoutes téléphoniques montrent qu’après son arrestation, même "depuis la Syrie, on se préoccupe de (son) sort". "Vous êtes un V.I.P."
Le procès se tient jusqu’au 21 juin.
Source : lexpress.fr
Auteur : AFP
Date : 1er juin 2017