Attentat du Bardo à Tunis : l’avocat des victimes est désormais armé

Depuis que l’avocat Philippe de Veulle a reçu des menaces dans le cadre du dossier sur l’attentat du musée du Bardo à Tunis, il est autorisé à porter un pistolet. Une situation exceptionnelle.

Depuis décembre 2016, Me Philippe de Veulle, 51 ans, ne sort plus sans son Glock 26. Un attribut incongru pour un avocat du barreau de Paris. D’habitude, ce pistolet semi-automatique ultra-compact accompagne les policiers chargés des protections rapprochées. « C’est mon assurance vie et mon seul espoir de m’en sortir si je suis attaqué. Je ne m’en sépare que lorsque j’entre au palais de justice. Je suis alors escorté », confie l’avocat, affligé.

La raison de cette situation ? Depuis que l’avocat est partie prenante dans le dossier de l’attentat sanglant du musée tunisien du Bardo, qui a fait plusieurs victimes françaises en 2015, il est l’objet de menaces particulièrement graves. Le ministère de l’Intérieur lui a délivré exceptionnellement une autorisation de port d’arme. « Elle est accordée lorsque des personnes sont exposées à des risques exceptionnels d’atteinte à leur vie », précise-t-on au ministère.

Philippe de Veulle défend cinq des vingt-deux victimes de l’attentat. Le 18 mars 2015, deux terroristes avaient fait irruption dans ce grand musée de Tunis, tuant 21 touristes et un policier. Mais depuis qu’il s’est plongé dans ce dossier sensible, Me de Veulle s’est engagé dans une défense de rupture, mettant en cause « les manquements sécuritaires de l’Etat tunisien ».

« Sur les quatre gardes affectés ce jour-là à la surveillance du musée, trois effectuaient leur pause de midi à la buvette, le quatrième était malade. S’ils avaient été en poste, il y aurait eu moins de victimes », explique-t-il. « Je voudrais que la France demande des comptes au président tunisien », martèle l’avocat.

Des menaces depuis qu’il a parlé dans la presse tunisienne

Il est aussi parti en guerre contre la justice tunisienne, dénonçant les supposés sympathies islamistes du juge d’instruction du pôle antiterroriste chargé de l’affaire, Béchir Akremi. En août 2015, il avait relâché les six complices présumés des terroristes, au motif que leurs déclarations auraient été extorquées sous la torture. Désormais, la procédure est nulle et non avenue. « Plus aucune chargé n’est retenue contre eux, alors que l’enquête avait établi, pour d’eux d’entre eux, qu’ils avaient transporté les terroristes ou des armes », s’insurge Me de Veulle.

Il avait relayé tous ces griefs avec fracas dans la presse tunisienne et dans quelques médias français. Dès lors, des menaces ont commencé à lui parvenir. Les appels anonymes en provenance de Tunisie se sont multipliés sur son portable. « Je décroche, il n’y a personne au bout du fil. J’en ai encore reçu trois ce week-end », raconte-t-il d’une voix blanche.

Nouveau coup de semonce. Le 15 avril 2016, il découvre dans sa boîte mail un texte en arable. Le message est explicite : « Terrorisme : la justice divine vaincra ». « C’est une fatwa », s’exclame Me de Veulle. Un informaticien réussit à localiser l’expéditeur. Le mail a été envoyé depuis Derna, en Libye. Jusqu’en avril 2016, la ville était contrôlée par Daech, avant que les troupes islamistes ne soient délogées par les forces régulières. Mais la ville reste cernée par les camps d’entrainement de djihadistes. Plus inquiétant, en novembre 2016, une vidéo du couple de policiers des Yvelines, tué à coups de couteau, lui a été envoyée sur son compte Twitter.

Philippe de Veulle avait tenté de créer un collectif d’avocats pour peser dans la procédure. Sans succès. Ses confrères qui interviennent dans le dossier ne l’ont pas suivi. Sa combativité reste intacte : « La pression est insupportable pour moi et les victimes que je défends. Mais je ne laisserai jamais tomber. »

« Une vie ne vaut pas 37 000€ »

L’instruction de l’affaire du Bardo est close depuis novembre 2016. Les victimes attendent la date de fixation du procès. Initialement, elle était prévue pour 2017, mais elle pourrait être repoussée. Une vingtaine de prévenus devraient comparaitre.

Les six hommes soupçonnés de complicité ne seront pas jugés car ils ont été relaxés. Leurs aveux leur auraient été extorqués sous la contrainte. Une situation insupportable pour Françoise Thauvin, l’une des victimes. Ce jour-là, cette femme de 55 ans a été blessée par balle à l’épaule, et elle a aussi perdu sa mère, Huguette Dupeu, fauchée par les terroristes : « Tous les jours, je revis cet attentat. Tant que la Tunisie ne reconnaitra pas sa part de responsabilité, je n’assisterai jamais à un procès. » Elle revient sur la sécurité a minima du musée : « Nous n’avons pas été fouillées à l’entrée. Il n’y avait même pas de gardes. On nous a rétorqué qu’ils étaient là mais qu’on ne les voyait pas ! » Elle en appelle désormais à l’Etat français.

Pour l’instant, elle s’est vu proposer par le fonds de garantie une indemnisation de 37 000€ pour le décès de sa mère et de 18 000€ pour elle. « J’ai refusé. Une vie ne vaut pas 37 000€ », s’offusque-t-elle.

Une instruction toujours en cours en France

En juin 2016, elle a été reçue, avec d’autres victimes, par Isabelle Couzy, juge d’instruction au pôle antiterroriste parisien. La France a ouvert une information judiciaire au lendemain de l’attentat. Une procédure « miroir » « en raison de la présence de victimes françaises », indique le parquet de Paris.

L’enquête, toujours en cours, a été confiée à la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) et la SDAT (sous-direction antiterroriste). Son avocat déplore la lenteur de la justice : « A ce jour, seul un tiers de la procédure nous est parvenu ».

Source : Le Parisien
Auteur : Nathalie Revenu
Date : 11 juin 2017

Crédit photos : Source : Le Parisien Auteur : Nathalie Revenu Date : 11 juin 2017

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