Aide aux victimes d’attentats : "Elles peuvent penser que l’État les abandonne"

Des associations de victimes du terrorisme s’inquiètent de ne plus avoir d’interlocuteur direct au gouvernement. Une "décision incompréhensible", selon elles.

Les associations de victimes du terrorisme sont inquiètes. Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, elles déplorent la suppression de leurs deux interlocuteurs privilégiés, le secrétariat d’État à l’aide aux victimes, créé en février 2016, et le secrétariat général de l’Aide aux Victimes (SGAV). Une décision qu’elles jugent "incompréhensible".

Pour pallier ces dissolutions, la nouvelle garde des Sceaux, Nicole Belloubet, devrait annoncer prochainement la nomination d’un délégué interministériel. Un comité interministériel doit se réunir mercredi, la veille des commémorations de l’attentat de Nice. Le porte-parole de l’association Life for Paris -créée après les attentats du 13 novembre 2015- Alexis Lebrun, espère "une annonce forte".

Avez-vous vu des avancées dans la prise en charge des victimes depuis le 13 novembre 2015 ?

Oui, il y a eu de nettes améliorations entre l’attentat du 13 novembre et celui de Nice. À Paris, nous avons assisté à des problèmes d’orientation des personnes, d’identification et d’inscription sur les listes de victimes. Tout n’a pas été parfait le 14 juillet dernier à Nice, mais nous avons par exemple vu la mise en place très rapide d’une cellule d’urgence après l’attaque.

Le secrétariat d’État à l’Aide aux victimes y est pour beaucoup. C’était une petite administration. Mais, étant sous la tutelle du Premier ministre, elle avait beaucoup de latitude pour faire avancer les dossiers. La secrétaire d’État, Juliette Méadel, pouvait ainsi faire travailler ensemble tous les ministères concernés par l’aide aux victimes : la Santé, le Travail, l’Éducation ou le Logement.

En parallèle, le secrétariat Général de l’Aide aux Victimes coordonnait l’action de tous les ministères. Nous pensions vraiment que cette instance indépendante, lancée il y a seulement quelques mois, serait pérenne malgré les alternances politiques. Aujourd’hui, nous redoutons un retour en arrière.

Savez-vous pourquoi ces secrétariats ont été supprimés ?

Non, pas du tout. Nous avons rencontré l’équipe d’Emmanuel Macron et la nouvelle ministre de la Justice. Personne n’est capable de nous l’expliquer. Ce qui alimente l’incompréhension des associations de victimes. D’autant que, si la suppression du secrétariat d’État ne nous a pas surpris après la nomination du nouveau gouvernement, celle du secrétariat général reste un grand mystère.

Quelles sont les difficultés auxquelles font face les victimes et combien sont-elles ?

Entre Paris et Nice, des milliers de personnes sont touchées. Ces difficultés concernent d’un côté l’ensemble des victimes, avec par exemple la reconnaissance du préjudice d’angoisse. Et de l’autre la gestion des cas individuels, dans les domaines de l’éducation, la santé, le logement ou de l’emploi. Ces derniers mois, on se penchait avec le ministère du Travail sur les problèmes d’accès à l’emploi pour les victimes qui ont perdu ou changé de travail après des blessures physiques ou psychiques. Aujourd’hui, certaines font face à de vraies difficultés, et se retrouvent dans l’embarras financièrement.

Côté éducation, il faut s’occuper des jeunes qui ont dû arrêter leurs études ou ont des séquelles qui peuvent les handicaper dans leur parcours scolaire. Niveau santé, la prise en charge pédopsychiatrique est un souci, car en France, peu de médecins sont formés au trauma chez les enfants. La prise en charge gratuite des soins médicaux liés aux attentats pour les victimes est en vigueur depuis deux ans. Mais il va falloir la renouveler en novembre. Voici un échantillon de ce qui ne se traite pas en un coup de baguette magique.

Qui sont vos interlocuteurs aujourd’hui ?

Nous n’en avons plus. Nous sommes à l’arrêt alors que des victimes ont besoin de gérer des urgences. L’un des avantages de ces secrétariats était que nos interlocuteurs étaient bien identifiés, que l’administration faisait preuve de souplesse contrairement à la machine à gaz que va être le ministère de la Justice qui, en plus, n’a pas de compétence intergouvernementale.

Vous avez rencontré la ministre de la Justice. Quel est son le projet ?

Pour l’instant, la nomination d’un délégué ministériel est évoquée. Il serait rattaché au Service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes (Sadjav), qui existe depuis longtemps sans avoir démontré son efficacité. Nicole Belloubet, qui a travaillé sur la catastrophe d’AZF en tant qu’élue toulousaine, a été rassurante, notamment sur la nécessité d’une structure interministérielle. Mais à l’approche des commémorations du 14 juillet à Nice, il y a beaucoup de communication politique. Nous attendons maintenant des annonces concrètes. Les associations ne peuvent pas indéfiniment palier les carences de l’État.

Il faut aussi comprendre que le calendrier politique et médiatique n’est pas celui des victimes. Un an et demi, ça peut paraître loin. En réalité, c’est très court pour les victimes qui ont des séquelles à vie. Elles peuvent avoir le sentiment que l’on passe à autre chose, que l’État les abandonne. Cela peut être extrêmement violent symboliquement, et donc susciter de la colère.

Un comité interministériel pour l’aide aux victimes a lieu mercredi sous l’égide d’Édouard Philippe et avec tous les ministres concernés. Cette initiative vous satisfait-elle ?

Ce comité a été institué par un décret en février, le même que celui qui a créé le secrétariat général. C’est la première fois qu’il va se réunir, et on s’en félicite. La veille des commémorations de l’attentat de Nice, nous espérons une annonce forte -notamment de rattachement de l’aide aux victimes à Matignon pour que la gestion puisse être interministérielle- et la nomination d’un commissaire, secrétaire ou délégué, peu importe le titre qu’il ou elle aura. Mais ce comité est seulement une partie de la réponse, il faut des gens qui s’occupent de cette question à 100%.

Date : 11/07/2017
Auteur : Anna Benjamin
Source : l’Express

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