Accident de Brétigny : le troublant constat d’un usager

A 77 ans, Christian Brochet n’est pas un procédurier. Et pourtant, ce 25 novembre 2010, soit deux ans et un peu plus de sept mois avant la catastrophe ferroviaire de Brétigny-sur-Orge (Essonne), ce père de famille à la retraite, qui réside depuis 1966 dans la ville meurtrie, prend sa plume et écrit à la SNCF un courrier particulièrement prémonitoire : « Monsieur, j’emprunte assez fréquemment le RER en gare de Brétigny. Donc, je prends le train habituellement sur le quai de la voie 2 (NDLR : celle qui jouxte la voie 1 où quatre wagons ont déraillé), et l’autre jour, quelle ne fut pas ma stupeur, en regardant les rails, de constater […] 36 anomalies liées à la fixation du rail le plus proche de moi. »

Dans son courrier, le septuagénaire décrit alors l’état des tire-fonds, une sorte de grosse vis, qui fixent le rail à la traverse.

Selon lui, sur une centaine de mètres, une trentaine sont tantôt desserrés, tantôt cassés et même à certains endroits absents. « Cette voie est empruntée largement par les trains RER qui ne roulent pas vite en gare, poursuit d’une écriture manuscrite le retraité. Mais des trains rapides passent aussi sur cette voie. Alors ? Où est l’entretien qui doit assurer un bon service et la sécurité ? Ce que j’ai vu n’est qu’une petite portion de voie. Que penser du reste du réseau ? »

La SNCF répondra à sa lettre presque trois mois plus tard, le 15 février 2011 : « Je tiens à vous assurer qu’il n’y a aucun défaut d’entretien sur cette zone, écrit l’entreprise ferroviaire. Cet état est connu, surveillé et respecte toutes nos normes : il n’y a aucun risque de sécurité », insiste même la SNCF qui précise, quand même, qu’une « intervention a été programmée […] pour rétablir l’efficacité des attaches ».

Pour ce technicien qui a fait toute sa carrière dans l’industrie mécanique, ce courrier apparaît comme un aveu : « La lettre de la SNCF prouve qu’elle savait que cette voie était en mauvais état, analyse le retraité. Le manque de maintenance était visible comme le nez au milieu de la figure. »

Un témoignage sur l’état des lieux à Brétigny-sur-Orge qui a d’autant plus de poids que Christian Brochet a dirigé pendant quinze ans l’atelier familial installé à Antony (Hauts-de-Seine) où ses treize salariés fabriquaient des pièces métalliques pour la SNCF, son plus gros client : « Je connais par cœur tout ce qui compose une voie de chemin de fer, répète inlassablement le retraité. De toute façon, pas besoin d’être un spécialiste pour apercevoir quand il manque une vis. Et qu’on ne vienne pas me dire qu’il est normal de faire circuler des trains sur des rails où des tire-fonds sont absents. Si le nombre de fixations prévues est supérieur aux besoins, la SNCF devrait les supprimer, elle ferait des économies. »

Assis dans le canapé de son pavillon, l’homme fulmine : « Je connais l’exigence de la SNCF sur la qualité des pièces métalliques qu’elle commande. A l’époque, les produits étaient régulièrement et minutieusement contrôlés en laboratoire. Pour moi, s’il y a eu défaillance, il faut regarder du côté de la maintenance des voies. Il y a eu négligence et le courrier de la SNCF montre que c’était même assumé. »

Christian Brochet adressera un second et dernier courrier à l’entreprise ferroviaire le 25 février 2011. Il confie son étonnement après la réponse qu’il a reçu de la SNCF. Il écrit surtout cette terrible phrase : « L’absence constatée de ces fixations constitue une faute grave et peut mener à une catastrophe. » L’accident est en effet survenu, non sur la voie 2, mais sur la ligne 1.

LeParisien.fr - 18 juillet 2013


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