"En leurs noms, soyons fiers" : le poignant discours du papa d’Amie pendant l’hommage aux 86 anges du 14-Juillet

Publié le 14/07/2020 à 15:17 sur Nicematin.com

Toute la journée, jusqu’aux 86 faisceaux lumineux de 22h34, Nice se souvient et honore les 86 victimes de l’attentat de la promenade des Anglais, il y a quatre ans.

Thierry Vimal a perdu sa fille Amie, 12 ans, sur la promenade des Anglais le soir du 14-Juillet. Amie.

Ce mardi matin, au nom de l’association Promenade des Anges, il a prononcé un poignant discours lors de l’hommage aux victimes dans les jardins de la villa Masséna, cérémonie à laquelle 120 proches de victimes assistaient.

Une paroles forte, des mots ciselés que nous partageons ci-dessous.

"Je voudrais commencer par une grande pensée pour tous ceux qui aujourd’hui ne sont pas des nôtres, du fait des restrictions sanitaires, ou parce qu’ils vivent loin d’ici, parfois à l’autre bout du monde, ou simplement parce qu’ils ont jugé qu’être ici cette année leur ferait plus de mal que de bien. Je tiens à leur faire savoir qu’ils sont parmi nous pour cette cérémonie, certes difficile, mais indispensable pour porter un message solennel d’amour et de respect envers les victimes décédées, ainsi qu’un message d’espoir, d’amitié et de solidarité à toutes les victimes endeuillées, blessées ou traumatisées.

Ces derniers jours nous avons vu cette belle ville de Nice revêtir ses atours d’été que nous aimions tant, le soleil, l’eau bleue et chaude à nouveau, les plages bondées et les touristes, les terrasses de café, toute cette joyeuse animation qui bien évidemment doit perdurer au nom de la vie… et nous nous sommes dit comme avant "Voilà l’été", mais ces mots ont perdu leur légèreté d’alors.

Nous déplacer en ville en juillet nous rappelle l’été 2016, où nous courions d’institutions en cellules d’accueil, de casernes en hôpitaux, sidérés par la douleur, harcelés d’images terribles, cuits par la chaleur et la fatigue, sans dormir, sans manger, pleurant tour à tour de chagrin, de fatigue, de rage, de résignation. Ces souvenirs, ils nous hantent durant toute l’année, mais l’été venu ils semblent s’incarner dans toute notre chair, ils résonnent avec une force terrible, et ces journées nous sont difficilement supportables.

Le seul réconfort, mais si salutaire, c’est de penser à toutes ces personnes, proches ou inconnues qui s’étaient alors rassemblées autour de nous, leur immense solidarité, leur dévouement, leur amour. Aujourd’hui nous pensons à elles et nous leur disons combien nous les aimons.

L’an dernier, ici-même, je partageais avec vous cette question que je pose souvent à ma fille défunte, je la lui pose devant sa tombe, ou à chaque fois que je passe devant son collège, son école de danse, devant la clinique où elle est née et l’hôpital où elle est décédée, ou à l’endroit de la Promenade où sa vie a été fauchée… Car oui, nous, victimes, surtout résidentes niçoises, nous vivons au contact de tous ces lieux si chargés de mémoire.

Cette question que je posais à ma fille, c’était : comment survivre ? Comment survivre, déchu de ma mission d’être ton père ? Et elle me répondait : "Non, Papa, tu n’en es pas déchu. Et il y a encore quelque chose que tu peux faire pour moi, quelque chose d’immense et qui me tient tellement à cœur : prendre soin de toi, prendre soin de nos proches, et lutter avec eux pour rester dignes".

Ainsi, chaque 14 juillet, je me sens invité par elle à dresser un bilan de ma santé physique et psychique, et de l’état de ma dignité. Qu’elle est dure, parfois, la dignité. Déjà la plus élémentaire, dans le soin de nos personnes et l’hygiène de nos maisons, dans notre alimentation, dans nos comportements vis-à-vis d’autrui.

Heureusement, rester digne n’est qu’un conseil qu’ils nous donnent, un cap qu’ils nous montrent vers la survie, et en aucun cas une injonction. "Vous faites ce que vous pouvez, nous disent nos défunts, de toute façon nous sommes fiers de vous". Et c’est important, car la tentation de tout lâcher est grande, récurrente, et bien souvent nous avons le sentiment d’échouer. Aujourd’hui, recentrons nos pensées sur ce qu’ils attendent de nous. Leur désir, à nos anges, c’est de nous voir nous relever.

Nos découragements, nos fausses routes sont pardonnables au regard de nos souffrances, alors soyons fiers, en leurs noms soyons fiers de nous !

La dignité qu’ils nous recommandent avec tant de bienveillance passe aussi par des combats externes pour la vérité, par le refus de l’inacceptable. Outre nos douleurs et les luttes que nous devons mener dans nos vies intimes, nous nous heurtons à la lenteur des procédures judiciaires et indemnitaires, nous devons faire face aux dérives des experts et de la médecine légale, mener de vrais parcours du combattant pour trouver des soins adaptés ou nous réinsérer dans la vie professionnelle et sociale. Et là je pense tout particulièrement aux plus fragiles d’entre nous, qui font l’objet de toute notre inquiétude : les enfants, les adolescents, les séniors.

Savez-vous que chaque semaine de nouvelles victimes viennent se faire connaître, après avoir essayé pendant quatre ans de s’en sortir seules ? Nous espérons qu’au lendemain du confinement l’ensemble des protocoles de soin reprendront, et nous demandons même à ce qu’ils soient élargis et renforcés.

La dignité nous sera d’autant plus facile que nous ne serons pas oubliés. L’oubli. Je vous avoue ne pas avoir pas compris, pendant longtemps, cette peur de l’oubli. Comment oublier ça ? Impossible d’oublier l’horreur, encore plus impossible d’oublier nos défunts. Mais je commence à comprendre combien il est cruel de se sentir oubliés par les autres, les médias nationaux qui, entre la fête nationale et la très riche actualité sanitaire et politique, nous ont bien peu sollicité cette année. Oubliés par les pouvoirs publics centraux, par la Justice et peut-être, un jour, en conséquence, par une partie même du peuple français.

Ne nous laissons pas ranger dans les archives des causes perdues et des affaires classées sans suite, rappelons que nous sommes les dépositaires d’une souffrance qui menace notre pays tout entier.

Je voudrais enfin, pour finir, faire part de notre gratitude à tous ceux qui, dès le soir de 14 juillet sur la Prom, nous sont venus en aide. Beaucoup n’étaient pas obligés d’intervenir et l’ont fait parce que leur courage égalait leur humanité, d’autres pour accomplir leur devoir avec abnégation – ils en ont été marqués à vie. Je dis notre gratitude à ceux qui nous accompagnent, nous soutiennent, de la même manière que je clame toute notre détermination à ceux pour qui, du fait de tel ou tel enjeu, voudraient nous faire oublier.

Leur dire que nous ferons tout ce que nous pouvons avec les moyens qu’il nous reste. Nous le ferons en leur nom, à tous ces anges dont nous saluons respectueusement la mémoire."

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