PROCES DES ATTENTATS DU 13 NOVEMBRE 2015 I J8 : LES PREMIÈRES CONSTATATIONS AU BATACLAN ET L’EMOTION DE l’ENQUETEUR EN CHARGE DE CES OPÉRATIONS

L’audience démarre et le Président appelle à la barre un nouveau témoin.

Ce policier de la section antiterroriste de la brigade criminelle débute son audition en expliquant qu’il est difficile de rapporter des éléments qui sont ceux d’une scène de guerre et non d’une scène de crime comme il a eu l’habitude d’en connaître lors de sa carrière.

Pour cela, il explique vouloir répondre à deux impératifs, celui de n’évoquer que les constatations et non la stratégie globale de l’enquête mais aussi, à travers son témoignage, faire comprendre aux personnes qui l’écoutent la gestion de cette scène d’ampleur.

Le témoin évoque un bilan catastrophique. Une dimension particulière avec des zones de constatations qui nécessitent la mise en place d’une méthodologie spécifique que cela soit pour les secours, les hôpitaux, la chaine médicolégale ou encore pour eux, intervenants.

Au strict plan des constatations, le policier explique que cette méthodologie ressemble à celle employée pour un crash, dans le sens où c’est une scène de crime large, avec une dissémination des corps, des traces et des indices. L’idée est donc de subdiviser un très grand espace en sous zones dans lesquelles sont projetés plusieurs groupes d’agents de constatations.

Avant même de commencer son récit, le policier s’excuse si transparait « un peu d’émotion et de sentiments personnels ». Il précise que ce n’est pas le cas normalement d’un officier de police judiciaire devant une Cour d’assises.

Il continue, expliquant que ce soir-là, toutes les patrouilles se rapatrient au 36 quai des Orfèvres et se met à disposition une centaine d’enquêteurs pour la brigade criminelle, précise-t-il. Lui, est le coordinateur de la scène du Bataclan. Il se rend avec un petit effectif sur place avec pour mission de faire la jonction avec les effectifs d’autres services.

L’officier raconte qu’ils ont attendu plusieurs heures avant d’aborder la scène car la priorité était donnée au travail des secours ainsi qu’à l’évacuation. Ce soir-là, il confie qu’il n’y pas d’autre mot que la sidération, au milieu de victimes ensanglantées qui crient, qui hurlent.
Vient ensuite l’action des services de déminage pour que les constatations ne soient pas risquées par des explosifs.
Les premiers constats aux abords du Bataclan commencent, avec notamment deux véhicules dont un par lequel les tueurs sont arrivés. Il y a aussi le recensement des effets personnels.
Puis, à 5 heures du matin, il pénètre dans la salle, le but est de se rendre compte de la répartition des corps dans les lieux et de la configuration de ces lieux pour faire un zonage de la salle et ainsi des constatations efficaces.
En raison de la présence des corps des terroristes et des armes, il faut faire des identifications le plus rapidement possible par la génétique et éventuellement le numérique et le téléphonique. Il faut traquer « la trace et l’indice » avec pour objectif l’identification d’un auteur, dit-il.
Le policier confie qu’aucun d’entre eux ne savait traiter une scène de guerre et qu’il a fallu s’adapter, travailler dans la durée pour faire de bonnes constatations criminelles tout en étant rapide pour donner des identités des victimes aux familles. Au total, 71 corps sont retrouvés dans le Bataclan. Eux, leur but n’est pas d’identifier, ils n’en n’ont d’ailleurs pas le pouvoir, mais de donner des éléments plausibles d’identification. Pourtant dix minutes après son entrée dans la salle, il reçoit des appels pour savoir si telle ou telle personne est présente. Il explique la difficulté d’être « là » mais de ne pouvoir répondre.

Dans la salle, parmi les effets personnels, est retrouvé un dictaphone numérique, ils comprennent alors que si cet accessoire numérique a capté le concert alors il a capté l’enregistrement audio des faits. C’est donc un élément qui est priorisé.

Le policier confie qu’une hantise l’a guidé pendant toutes les constatations, celle de passer à côté d’une victime blessée qui se serait mise dans « un trou de souris » et serait décédée dans un endroit qu’il n’aurait pas vu. Oppressé par cette crainte, il explique qu’ils ont fouillé tout ce qu’ils ont pu et ont découvert ainsi des plafonds troués donnant accès aux toits notamment, où des spectateurs ont pris la fuite.

Le 14 novembre dans la matinée, l’officier raconte qu’une personne s’est présentée aux effectifs en se disant inquiète de ne pas avoir de nouvelles d’un homme habitant au premier étage de l’immeuble du passage Amelot, les pompiers intervenaient alors par le fenêtre laissée entrouverte et découvraient un homme frappé d’une balle, qui est d’ailleurs la seule victime collatérale car elle n’est pas rattachée au concert.

Parmi les différents points évoqués par le policier, il y en a un aux abords du Bataclan qui est primordial, celui de la poubelle devant le 40 et 42 boulevard Voltaire, dans laquelle est découvert un téléphone portable dépourvu de carte Sim avec une batterie désolidarisée du boitier. Y sont découverts : 6 clichés dont l’affiche du concert, les plans d’accès des issues de secours du Bataclan mais également des SMS, dont un à 21h42 : « On est partis, on commence » adressé à un numéro belge. Le téléphone appartient aux terroristes.

Puis, l’agent arrive au « moment le plus délicat pour les parties civiles » dit-il. Il aborde en effet la partie audio, elle est courte et ne permet pas d’identifier les victimes, précise-t-il. Elle est juste indicative et démontre le coté brusque de la barbarie de l’instant. Les parties civiles qui ne souhaitent pas l’entendre sont averties, certaines sortent de la salle. On y entend de la musique puis une longue série de coups de feu.

Vient ensuite l’exploitation des scellés concernant les kamikazes. Un nombre démesuré de balles ont été tirées, probablement plus que ce qu’ils ont trouvé.

Sur le téléphone d’une otage, à 00H10, est constatée la connexion sur un compte Skype d’un individu qui est entré en contact avec sa mère à laquelle après « des mots d’amour », il annonce qu’il va rencontrer Allah. A 00H18, l’assaut est donné. Plus tard, la mère de Foued Mohamed Aggad confirme : la femme de Foued lui apprend le 30 novembre que c’est bien son fils qui faisait partie des assaillants du Bataclan.

Puis, un panoramique de l’intérieur du Bataclan tel qu’il a été refait est diffusé dans la salle, l’officier montre les lieux depuis les travaux, les noms des victimes sont rattachés à chaque zone où elles ont perdu la vie. Le Président demande à l’officier de les lire. Silence et émotion règnent dans la salle lors de la lecture du nom de chacune des victimes.

Le policier conclue que l’attentat du Bataclan a permis de mettre à l’épreuve le plan multi-attentats. Il précise que depuis, ce plan est très suivi et que la dernière version a été améliorée avec une formation de tous les effectifs de police judiciaire qui seraient amenés à intervenir sur des scènes similaires.
Puis plus personnellement, avant les questions des différentes parties, le policier confie qu’il a une grande empathie vis à vis des victimes, qu’il ne faut pas écouter les personnes qui n’étaient ni sur les lieux ni en charge de l’affaire et qui rajouteraient de la barbarie aux faits déjà inqualifiables. Il termine : « Je suis de tout cœur avec les parties civiles et leur souhaite énormément de courage pour la suite de ce procès. »

L’audience est levée à 18 heures.

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