Un parquet national antiterroriste : oui mais pour quoi faire ?

La garde des Sceaux, Nicole Belloubet, a annoncé lundi matin la création d’une nouvelle juridiction spécialisée. A la surprise générale et sans en définir très précisément les contours.

Un parquet national antiterroriste : oui mais pour quoi faire ?

L’idée ne faisait pas partie du programme de campagne d’Emmanuel Macron mais surgissait régulièrement dans le débat public depuis les attentats de 2015. Dans son discours devant les procureurs généraux à Paris, Nicole Belloubet, ministre de la Justice, a fait une révélation surprise ce lundi : la création d’un parquet national antiterroriste (Pnat) en 2018 pour faire face à « une menace sans commune mesure » en France. Pour autant, au-delà de l’effet d’annonce, le projet semble encore à l’état d’ébauche. Ce qui ne l’empêche pas de susciter déjà scepticisme et critiques.

Que signifie la création d’un parquet national antiterroriste ?

Créer un parquet national antiterroriste reviendrait à mettre en place une structure spécialisée sur le modèle du parquet national financier (PNF) qui a vu le jour en 2013 après le scandale de l’affaire Cahuzac. Nicole Belloubet y voit l’avantage de « disposer d’une véritable force de frappe judiciaire antiterroriste ». Pour autant elle est restée avare en détails concernant les modalités pratiques. Elle n’a, en effet, pas précisé le périmètre de ce nouveau parquet, ni sa place exacte dans l’organisation judiciaire, renvoyant aux propositions que doivent lui faire le directeur des affaires criminelles et des grâces ainsi que le directeur des services judiciaire.

Le mystère reste également entier sur le magistrat qui en prendra la tête. Le nom de François Molins, aujourd’hui à la tête du parquet de Paris, circule avec insistance, celui-ci atteignant en 2018 la durée maximale (sept ans) à la tête d’un parquet. La chancellerie doit donc trouver une nouvelle juridiction au magistrat le plus médiatique de France, mais reste encore très prudente : « C’est vraiment prématuré alors qu’on ne connaît même pas le périmètre. »

Quel serait son objectif ?

Le parquet de Paris est le plus important de France : il gère non seulement les affaires ordinaires mais également d’autres contentieux spécifiques tels que la criminalité organisée, la santé publique, les crimes contre l’humanité… Depuis 1986, une section spécialisée est compétente au niveau national pour tous les dossiers terroristes. L’attentat de Nice comme les attaques de Saint-Etienne-du-Rouvray ou les départs en Syrie de Lunel (Hérault) sont ainsi revenus aux procureurs de cette section appelée C1. Selon la ministre de la Justice, la création du Pnat permettrait de désengorger le parquet de Paris en traitant les dossiers terroristes à part. Tout en créant une structure « plus efficace et plus visible », selon Nicole Belloubet. Elle a précisé : « Le Pnat aurait quant à lui toute la disponibilité pour recentrer son activité sur cette mission essentielle. »

Pour ses partisans, comme le magistrat, Michel Debacq, ancien chef de la section antiterroriste aujourd’hui à la Cour de cassation, un parquet national donne plus d’autorité au procureur à sa tête, qui ne traite que cette matière. Aujourd’hui, François Molins est l’interlocuteur privilégié des services de renseignement, avec qui il travaille étroitement. Mais la cheffe de la section antiterroriste est, elle, placée plus bas dans la hiérarchie judiciaire. Un procureur national antiterroriste aurait le même niveau hiérarchique que Molins, tout en étant aussi spécialisé que la cheffe de section. Autorité et compétence donc, qui rééquilibreraient, selon Debacq, la relation de l’autorité judiciaire avec les services de renseignement. Il va plus loin, considérant qu’in fine, les services devraient passer sous la houlette de la justice, ce qui serait une réforme d’une tout autre ampleur.

Est-ce vraiment utile ?

Les pourfendeurs du parquet national antiterroriste sont plus nombreux que ses partisans. Virginie Duval, de l’Union syndicale des magistrats, s’y dit « opposée » : « Ça laisse à penser que le parquet de Paris ne remplit pas bien sa mission, ce qui est faux. L’argument de l’engorgement est fallacieux. Molins n’est pas tout seul même si c’est lui que l’on voit dans les médias, il travaille avec des procureurs adjoints et des vice-procureurs. Les magistrats peuvent gérer et y arrivent très bien ! » Un magistrat parisien se désole : « La spécialisation existe déjà : les procureurs ont une très bonne connaissance du phénomène terroriste contemporain et ont une réflexion sur la politique pénale (l’ouverture systématique en matière criminelle, la particularité des dossiers impliquant des mineurs etc.). »

L’ancien garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas avait qualifié la création d’un Pnat de « plus mauvaise des idées », lors de son audition devant la commission d’enquête parlementaire sur les attentats. Les députés n’avaient pas retenu cette réforme dans leur rapport, comme le rappelle son rapporteur, l’ancien député PS Sébastien Pietrasanta : « La section spécialisée du parquet de Paris a déjà une compétence nationale. Et le parquet de Paris peut mobiliser des ressources en plus en cas de crise. » Lors d’un attentat d’ampleur, quelques-uns de ses 130 procureurs peuvent épauler leur collègue de la section antiterroriste. Un schéma beaucoup plus compliqué si l’antiterrorisme prenait le large dans un parquet dédié. L’expérience du PNF en témoigne : Eliane Houlette, à sa tête, se plaint régulièrement de ses effectifs insuffisants, l’obligeant à limiter ses missions à ses moyens. L’année dernière, pour toutes ces raisons, un certain François Molins se demandait si l’idée d’un Pnat « relev[ait] de l’ignorance ou de la mauvaise foi ».

Date : 18/12/17
Auteur : Pierre Alonso et Julie Brafman
Source : Libération

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