Tibéhirine : les familles dénoncent une « confiscation des preuves » par Alger

Patrick Baudouin, l’avocat des familles des sept moines de Tibéhirine tués en mai 1996 dans des circonstances jamais élucidées, a tenu, jeudi 23 octobre, sa première conférence de presse depuis l’ouverture de l’instruction judiciaire il y a onze ans. Il a dénoncé une « confiscation des preuves par les autorités algérienne », parlant d’une « situation inadmissible ». « On pourra en déduire que c’est une sorte d’aveu de responsabilité de votre part », a-t-il lancé aux autorités algériennes.

Cette prise de parole survient après que le juge antiterroriste français chargé de l’affaire, Marc Trévidic, a enfin pu se rendre en Algérie pour faire réaliser de nouvelles analyses sur les crânes des moines, dont les corps n’ont jamais été retrouvés. Mais les autorités algériennes refusent de le laisser repartir avec les prélèvements effectués par les experts qui l’accompagnaient sur les crânes exhumés le 14 octobre. Patrick Baudoin a évoqué un « risque de dépérissement rapide des preuves » :

« Aux autorités algériennes, nous disons si vous persistez dans cette position qui ne repose sur aucune justification juridique, il paraît évident que c’est parce que vous avez des choses à cacher. On pourra en déduire que c’est une sorte d’aveu de responsabilité de votre part, implication des services ou des militaires algériens. »

Officiellement, c’est le Groupe islamique armé (GIA) qui a exécuté les moines. Mais « nous y croyons de moins en moins », a déclaré l’avocat. Pour lui, les éléments obtenus par le juge Trévidic depuis sa désignation, ainsi que la déclassification de documents de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la Direction de la surveillance du territoire (DST) « confortent dans l’idée que la thèse officielle qui accuse le GIA cesse d’être crédible ».

Après avoir suivi la piste islamiste, l’enquête judiciaire s’est réorientée vers une possible bavure de l’armée algérienne depuis 2009. Les prélèvements ADN et les examens radiologiques sur les crânes pourraient permettre d’« approcher de la vérité », a déclaré Me Baudoin, qui a rappelé les quatre principales questions posées par ces examens.

Les têtes sont-elles bien celles des moines ?

Les expertises ADN doivent montrer que les crânes exhumés sont bien ceux des moines, en les comparant avec des échantillons ADN prélevés sur leurs proches. « Cinq têtes ne paraissent pas présenter de difficultés, mais deux méritent d’être examinées avec beaucoup d’attention », a souligné l’avocat.

Y a-t-il des preuves de blessures par balles ?

Ce premier examen a permis par ailleurs de constater qu’il n’y aurait « apparemment » pas « d’impact de balles » sur les crânes, a déclaré Me Baudoin.

Le 25 juin 2009, l’ancien attaché militaire de l’ambassade de France à Alger avait livré à M. Trévidic le témoignage indirect d’un militaire algérien. Selon lui, en mai 1996, les militaires algériens auraient tiré sur un bivouac depuis un hélicoptère, pensant qu’il s’agissait d’un groupe armé, et ne se seraient aperçus de la présence des moines qu’une fois au sol. C’est pour dissimuler cette bavure que leurs corps, criblés de balles, auraient été décapités.

La décapitation est-elle la cause de la mort des moines ou a-t-elle été réalisée post mortem ?

« L’impression des experts français en l’état serait plutôt post mortem », a rapporté Me Baudoin, soulignant qu’il ne s’agissait pas de « conclusions définitives ». Dans son communiqué du 21 mai 1996, le GIA avait annoncé que la décapitation était la cause de la mort : « Nous avons tranché la gorge des sept moines, conformément à nos promesses. Que Dieu soit loué, ceci s’est passé ce matin. »

Les moines ont-ils été tués avant le 21 mai 1996, date retenue jusqu’à présent ?

La date de la mort des moines est fixée officiellement au 21 mai 1996, date du communiqué du GIA. « Au moins un témoin dit que la mort serait intervenue avant le 30 avril 1996 », a rapporté Me Baudoin, pour qui « les experts confirment ce doute ». « On a retrouvé des bulbes de mouches qui pourraient permettre de dater l’antériorité de la mort, a-t-il dit. Ce n’est pas prouvé, mais il y a des interrogations. »

Pour l’avocat, « s’il s’avère que la mort est antérieure de plusieurs jours, cela remet en cause le communiqué attribué au GIA », qui pourrait donc être un « document fabriqué ».

lemonde.fr - le 23.10.2014


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