Terrorisme : inquiétude sur les mineurs embrigadés

Comme l’a révélé le magistrat Marc Trévidic devant une commission d’enquête parlementaire, une demi-douzaine d’apprentis terroristes endoctrinés sur Internet ont été déférés ces six derniers mois à Paris.

Pour le juge antiterroriste, Marc Trévidic, les services français détectent de plus en plus de « mineurs embrigadés par Internet » où des sites mettent en scène des « djihadistes brandissant des kalachnikovs ».

« Le poids de ces images a été dilué dans toute la société, sans qu’il y ait besoin du prêche d’un imam dans une mosquée salafiste. Dans les six derniers mois, cinq ou six adolescents ont été déférés au pôle antiterroriste de la galerie Saint-Éloi. Je n’avais jamais vu cela auparavant… », a confié mardi le juge lançant devant les députés, un véritable cri d’alarme. Il était entendu par la commission d’enquête parlementaire sur le « suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés ».

« Comment lutter contre cela ? » s’est interrogé le magistrat, un des plus fins connaisseurs du terrorisme en France, auteur d’un livre intitulé Terroristes, les sept piliers de la déraison aux Éditions Lattès. Soulignant un « souci énorme », le juge a révélé que désormais « quasiment 100% des affaires portées à la connaissance de la justice viennent des surveillances sur Internet. »

« Or, insiste le juge, les services de renseignements n’ont pas envie de se couper de cet outil de surveillance, alors que c’est de là que la propagande et le mal se propagent… » Deux logiques s’affrontent donc.

Listant les difficultés de lutter contre un terrorisme qui a changé de visage, le juge a observé en outre qu’« il n’existe plus de gros groupes structurés comme avant 2001, où tout le monde passait par Londres avant d’aller en Afghanistan, ni de filières uniques ou de labels clairement identifiés ».

À la place, la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, contre-espionnage) doit faire face à des « individus isolés, très peu organisés », « difficilement gérables », « disséminés sur le territoire et agissant de manière spontanée et très peu construite… ». Furtives et quasiment indécelables, ces cibles posent problème au système répressif français, jugé « très lourd et hiérarchisé, centralisé à Paris ».

Une cinquantaine de Français salafistes partis en Syrie
« Dans le temps, nous étions sûrs de nous, a déclaré Marc Trévidic. Nous attendions que les djihadistes reviennent des camps d’entraînements pour les surveiller et savoir s’ils avaient un projet d’attentat : on les interpellait avant qu’ils passent à l’action ». « Maintenant, concède-t-il, les candidats voulant se rendre sur une terre de djihad sont parfois interceptés avant qu’ils partent car on n’est plus sûr de pouvoir les contrôler au moment de leur retour. Même les entraînements ne se font plus à ciel ouvert mais dans de petites maisons du Waziristan ». Judiciairement, les dossiers sont donc de plus en plus durs à traiter.

Évoquant un « terrorisme impalpable », une « situation très diffuse » ainsi que des « menaces très diverses », le juge a en outre révélé qu’une « cinquantaine de Français salafistes sont actuellement partis en Syrie pour rejoindre on ne sait quel groupe », sachant que « les choses sont devenues très compliquées judiciairement pour savoir comment les empêcher de nuire ». Selon cet expert, la zone yéménite serait la seule région où la présence d’al-Qaida est bien identifiée.

La situation est d’autant plus alarmante que certaines dispositions de la loi sur la sécurité intérieure (LOPPSI) ne sont toujours pas mises en place. Ainsi, les enquêteurs ne peuvent toujours pas installer légalement de logiciels espions dans des ordinateurs de suspects, faute d’avoir encore une société homologuée par un arrêté de l’État.

200 à 300 enquêtes préliminaires par an
De leur côté, les terroristes diversifient leurs sources de financement. Selon Marc Trévidic, l’argent peut venir aussi bien de braquages que de trafics de drogue, de contrefaçon de vêtements, voire de cartes de crédits clonées et d’agressions de prostituées.

Chaque année, les dossiers islamistes et de terrorisme international feraient l’objet d’environ 200 à 300 enquêtes préliminaires.

Soulignant une « fébrilité naturelle après l’affaire Mohamed Merah », l’auteur du septuple assassinat de Toulouse et Montauban, le juge Trévidic a remarqué que les services ont multiplié les arrestations et redoute que des « personnes non évaluées » aient pu avoir été « remises en liberté sous contrôle judiciaire ». « Notre hantise, a reconnu le magistrat instructeur, est de remettre dehors un profil dangereux, faute d’avoir des éléments solides. S’il passait à l’acte comme Merah, ce serait alors la catastrophe. »

Au lendemain de l’affaire Merah, la DCRI aurait porté une vingtaine de dossiers de personnes présentant peu ou prou le même profil que le tueur au scooter, dont la moitié ont fait ou font encore l’objet d’investigations.

Manuel Valls ne dit pas autre chose
La commission d’enquête devrait rendre ses conclusions au printemps prochain. Présidés par Christophe Cavard (EELV), les travaux seront rapportés par le député socialiste, Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois qui conduit par ailleurs une très importante mission d’information sur la coordination des services de renseignements.

Sur le même sujet, et avec la même inquiétude, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, assure vendredi dans Le Parisien , qu’il y a en France aujourd’hui « plusieurs dizaines de Merah potentiels », parlant d’un « ennemi intérieur ».

Pour le ministre de l’Intérieur, « En mars 2012, Mohamed Merah a tué des soldats français parce qu’ils étaient soldats, tué des enfants et un père juifs parce qu’ils étaient juifs », déclare le ministre. « Ces dernières semaines encore, nous avons démantelé des réseaux qui avaient frappé ou s’apprêtaient à le faire. Des cellules organisent même des passages d’individus sur les théâtres de guerre où l’on mène le djihad ».

Christophe Cornevin, Le Figaro, 20 Février 2013


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