Surirradiés d’Epinal : plaidoirie de Me Manesse pour la FENVAC

Monsieur le Président, Mesdames les Assesseurs

J’ai l’honneur d’intervenir au soutien des intérêts de la Fédération Nationale des Victimes d’Attentats et d’Accidents Collectifs, la FENVAC qui, par la réitération de sa constitution de partie civile sur le fondement de l’article 2-15 du code de Procédure pénale, entend corroborer l’action publique et livrer au tribunal son analyse systémique de l’accident survenu à Epinal.

La FENVAC n’a pas la prétention dans ce prétoire de se draper de la douleur des victimes qui s’exprimeront par la voix de leurs conseils.

Mais parce qu’elle est née de la réunion de familles endeuillées comme celles d’Epinal par la survenue d’un accident collectif (incendie de l’autocar de Beaune, collisions ferroviaires de la gare de Lyon et de la gare de Melun, effondrement de la tribune de Furiani, crashes aériens de Habsheim et de Cap Skirring, incendies des thermes de Barbotan, et de la clinique de Bruz), et parce qu’elle est composée aujourd’hui d’associations qui se sont créées après un accident ou un catastrophe (crash du Rio Paris, effondrement de la passerelle du Queen Mary 2..), d’hommes et de femmes qui sont allés au delà de leur douleur au service de la prévention et des autres, la parole de la FENVAC est incontestablement celle d’une victime d’un accident collectif.

Victime à part entière ; et pas entièrement à part.

Le législateur a en effet souhaité que la Société civile dans sa dimension associative et démocratique et forte de ses retours d’expérience, puisse participer pleinement au débat pénal sur les risques subis, réalisés qui relèvent de l’intérêt général.

La FENVAC est à la fois une vigie et un repère en matière de risque et de sécurité.

Elle s’est fait représenter durant ces 17 jours d’audience : un avocat en permanence qui a suivi les débats certes du fond de cette salle mais qui était présent, un élève avocat qui a pris des notes et animé un blog sur le site de la fédération.

Lorsque le rideau tombera sur l’audience, et plus tard après votre délibéré, l’ entité qui survivra, c’est la FENVAC.

Sa démarche n’est pas émotionnelle, passionnelle, mais rationnelle.

Cette malheureuse expérience du dossier d’Epinal viendra enrichir la réflexion qu’elle conduit depuis de nombreuses années sur la prévention du risque :

Le tribunal le constatera à a lecture du FONDS DOCUMENTAIRE que je communique en annexe aux conclusions de partie civile.

Le constat fait par la FENVAC est effrayant.

Si chaque siècle a apporté à l’Histoire son lot de catastrophes, il appartient au siècle écoulé d’avoir produit, à l’échelle d’une vie d’homme, des catastrophes, des accidents de tous ordres (industriels, sanitaires, naturels) comme jamais aucune période antérieure n’en avait été le théâtre.
La carte judiciaire des catastrophes du siècle écoulé montre de façon constante que ces catastrophes ont pour origine les défaillances humaines des personnes physiques et morales.

Parce qu’il y a une mécanique de l’accident collectif :

• les mêmes causes
• produisent les mêmes effets
• avec toujours les mêmes dénis parce qu’il est toujours plus confortable de faire porter le chapeau au lampiste que de reconnaître ses propres défaillances.

Cette mécanique de l’accident collectif est banale.

Elle est théorisée par REASON qui est un professeur de la Manchester University au Royaume Uni.

Il est surprenant de constater que ce modèle correspond tout à fait à l’accident d’Epinal :

On a l’impression qu’il a été fait pour EPINAL

Il s’agit de la pièce 3 que la FENVAC verse aux débats.

Pour que l’accident se produise il faut que l’ensemble des trous soient alignés c’est-à-dire que l’ensemble des barrières de sécurité se soient effondrées.

Il suffit qu’un seul obstacle fonctionne pour que l’accident soit évité, ce qui valide au passage l’application de la théorie juridique de l’équivalence des conditions.

Vous avez dans le millefeuille de la sécurité différentes plaques empilées, chacune symbolisant un niveau de sécurité du système.

Ces plaques comportent des trous qui symbolisent leurs points faibles, les erreurs qui en elles mêmes ne doivent pas conduire à l’accident puisque chacune des plaques est garante de la sécurité de l’ensemble.

EX : si le radiophysicien fait une erreur de paramétrage, en principe cette erreur ne doit pas conduire à l’accident parce qu’il y a un protocole écrit qui fait que l’on va vérifier la dose effectivement reçue par le patient et que l’on va stopper très vite la progression de l’accident.

Nous avons donc :

Au centre : Les plaques des acteurs de première ligne. Il peut s’agir des professionnels de santé qui assurent le travail quotidien : médecins, radiophysicien, manipulateur dont les erreurs ou défaillances sont appelées défaillances PATENTES

Ces erreurs sont favorisées par les défaillances LATENTES des plaques en amont qui concernent la conception et la gestion du système : affectation des personnels, coordination des équipes, formation, maintenance des matériels, assurance qualité…

Mais ces erreurs peuvent être récupérées, stoppées par des défenses efficaces, en profondeur (3ème et dernière plaque). Elles correspondent à des barrières humaines, matérielles ou immatérielles :
- contrôles dosimétrie in vivo / contrôle indépendant des unités moniteurs
dont on sait qu’ils étaient adaptables au nouveau protocole (WACK et CAV)
- l’administration qui est sensée ne pas se réunir pour rien mais contrôler de façon régulière le bon fonctionnement de l’ensemble

L’accident survient quand les trous s’alignent sur les trois niveaux, la propagation n’est pas freinée et on risque un accident grave.

Dans ce modèle qui est transposable à l’accident d’EPINAL on a la démonstration mathématique que :

- > ce n’est donc pas un maillon qui casse mais une série de FEUX qui se mettent au VERT.

- > Il aurait suffit qu’un seul reste ROUGE pour éviter l’accident ou éviter les conséquences aussi dramatiques

vous avez 7 prévenus : ce sont les sept points clés qui sont passés au VERT
je vous parle de REASON, mais ceux qui sont venus nous parler de ce phénomène de points clés à l’audience, ce sont les docteurs SIMON et GOURMELON

Dans un système normalement organisé structuré,

- > Si on a un radiophysicien qui sans la maîtriser, met en place une nouvelle technique de radiothérapie conformationnelle en urgence, et alors que son intérêt thérapeutique n’est pas évident,

- > On va avoir des médecins qualifiés et compétents qui vont dire : "Halte : je veux un protocole écrit, je veux des retours d’expérience, avez-vous fait des vérifications ?"

Dans un système organisé les manipulateurs ne peuvent pas se tromper sur la façon d’utiliser le matériel, parce qu’on est dans un hopital et qu’on manipule une arme qui grille les cellules cancéreuses pour tuer le cancer

Ils ne peuvent pas se tromper parce qu’ils sont formés.

Ils sont formés par le radiophysicien qui va s’assurer, parce qu’il sait être en présence d’une technique dangereuse, de la bonne utilisation de l’appareil

Dans un système organisé, j’ai des médecins qui contrôlent la tolérance du traitement par leurs patients.
qui ne sortent pas du cadre législatif et réglementaire pour faire de l’expérimental, parce que eux aussi savent que c’est une bombe qu’ils manipulent.

Ils ont une attitude empathique, médicale avec leurs patients

et en cas de problème, l’Administration qui garde un œil vigilant et régulier sur la sécurité du système intervient par des actions préventives et curatives. Parce que l’administration n’est pas là que pour faire des réunions quand même. Elle est là pour faire fonctionner un système.

Au lieu de cela, l’accident d’Epinal met en évidence :

Un radiophysicien qui annonce un jour de mai 2004 en réunion matinale que le centre peut passer à la radiothérapie conformationnelle en coins dynamiques :

- > Technique sans intérêt thérapeutique éprouvé
- > dans l’urgence, sans concertation préalable
- > qui considère que dans la mesure où il n’a pas d’opposition franche au passage aux CD ce jour là peut mettre en application cette nouvelle technique
- > sans protocole écrit
- > parce qu’il n’y a qu’ « une simple case à cocher »
- > qui se satisfait de la formation en parapluie
- > sans contrôler la bonne utilisation par les manipulateurs de ce nouveau logiciel qu’il a lui-même créé
- > qui ose soutenir qu’il ne lui appartenait pas de former les équipes au matériel

Mais qui d’autre que lui ?

Il créé lui-même un logiciel, il est personne responsable de radiophysique médicale au sein du centre, il est chargé de la technique.

Qui d’autre que lui pouvait montrer aux manipulateurs comment fonctionne un système qu’il a lui même configuré pour le passage aux CD ?La question a été posée à Madame Karine ROBERT, la première des manipulatrices appelées à témoigner à la barre du tribunal. Elle s’est dirigée naturellement vers lui parce que « le médical c’est les radiothérapeutes, la technique c’est le radiophysicien »

Un radiophysicien qui alerté par les écarts révélés par la dosimétrie in vivo, préfère supprimer toutes les lignes de défense pour n’en garder aucune.

Un, radiophysicien qui ne valide les feuilles de calcul qu’en fin de semaine, voire en fin de traitement (Mme CLERC) et ne se rend pas compte que dans la colonne de gauche on est encore en C statiques.

Un radiophysicien alerté par sa remplaçante Mme CARBILLET sur des erreurs de dosimétrie, qui est incapable de se remettre en question et de saisir l’opportunité d’une discussion avec un confrère.

Un radiophysicien, pourtant questionné sur l’importance de la dose afférente aux matchings, qui se contente de répéter qu’il s’agit d’une dose négligeable et qui une fois la conscience prise de la gravité de la situation, soustraira des dossiers remis aux experts les feuilles de matchings comme il a modifié les fichiers informatiques relatifs au cas de Monsieur BAZIN.

Un radiophysicien qui même confronté aux mensonges du chef de service, entretient la LOI DU SILENCE en « n’osant » pas révéler aux autorités de tutelle l’ampleur de l’accident.

Des médecins radiothérapeutes

- > qui sont attirés par l’expérimentation :
Monsieur Sztermer qui donne le dossier CONSTANT à Mme ROBERT pour qu’elle puisse tester les CD avec Monsieur ANAH alors qu’aucune réunion formelle spécialement dédiée aux CD ne s’est tenue.
des médecins qui pratiquent le surdosage en dehors des essais thérapeutiques, sans s’entourer des barrières de sécurités prévues par la communauté scientifique, qui contournent les règles pour jouer aux apprentis sorciers, parce que dans la course à la première place devant Alexis Vautrin, rien ne doit les freiner

- > qui sont totalement hermétiques aux plaintes des patients, aux inquiétudes exprimées des manipulateurs sur les matchings, qui font des actes mais sans contact avec les patients
qui ne regardent pas leurs patients
mais ont le reflexe de faire porter le chapeau aux lampistes : manipulateurs.

- > qui n’assurent pas le suivi de leurs patients pendant le traitement et après le traitement (là on est dans l’erreur latente parce que seul un contact du médecin avec le patient aurait pu les confronter aux erreurs)

- > QUI NE JOUENT PAS LEUR ROLE DE DEFENSE LATENTES :

Des médecins qui ne soucient pas des conséquences du brusque changement de protocole en termes de sécurité, ne réclament pas à ANAH de protocole écrit, de vérifications.

Un chef de service incapable d’organiser la coordination de ses équipes
de vérifier la compétence du radiophysicien pour former ses équipes
de vérifier que la nouvelle technique est acquise par les manipulateurs
qui se contentent de renvoyer le suivi des patients tantot à l’interne à supposer qu’ils aient existés, tantot aux médecins traitants.

Ils ont perdu ce qui fait la noblesse de leur métier : l’empathie, l’écoute, l’humanité.

Cette humanité je l’ai curieusement surtout retrouvée au cours des débats que dans les paroles des « administratifs » : Mme Cappelli et M.Sans.

Des administratifs, qui ne sont pas des médecins.

Plus tard dans celles de Monsieur Sztermer.

Mais l’Administration n’est pas là que pour faire des réunions, ou demander pardon, dans un réflexe chrétien, en indiquant aux victimes comment elles vont être indemnisées ou comment déposer plainte au pénal.

Un procès ça ne guérit pas.

Ca ne guérit pas comme aurait pu le faire un plan de suivi organisé des patients.

Il a fallu trois semaines à l’administration , 3 semaines pour organiser une réunion de 1 heure, réunion de débroussaillage.

Rien de concret n’est fait le 16 septembre.

`Pas davantage le 6 octobre au lendemain de la réunion.

La vérité c’est que personne n’a pris la mesure de la gravité de l’accident,
chacun se retranchant derrière le discours rassurant des soignants (qui ont pourtant eux-mêmes contribué à l’accident).

Chacun se renvoyant la patate chaude en se disant :

- les médecins : c’est traité par la direction
- la direction c’est traité par l’ARH et la DDASS
- l’ARH c’est traité par la DDASS

Aucune réflexion d’ensemble

Aucune vérification de ce qu’affirme l’interlocuteur

Parce que comme nous l’ont dit Mme LALANDE et Monsieur GOURMELON : ce n’est pas dans leur culture de contrôler.

J’ai commencé mon propos en vous indiquant que la démarche de la fédération que je représente n’est pas émotionnelle.

Je n’ai pas de haine.

Je ne réclame pas l’exemplarité de la sanction.

FENVAC entend simplement à faire avancer par la justice la compréhension des mécanismes qui aboutissent à ce type de catastrophe.

C’est par votre jugement que vous pourrez faire en sorte que des réactions adaptées et des comportements légitimes puissent se mettre en place.

Vous devez mettre en place les moyens pour que dans cette chaine d’ « irresponsables » il y en ait UN qui dise stop et arrête le processus accidentel soit avant qu’il survienne soit quand il a commencé à se développer.

Le 17 octobre 2012, devant le tribunal correctionnel de Paris par Maître Pauline Manesse du cabinet ACG


Illustration du modèle de REASON (cliquez pour agrandir)


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