Boubacar BA, président de l’association des victmes du Joola : ‘On a recensé 1 900 orphelins livrés à eux-mêmes’

En Casamance, pour certaines croyances, notamment chez les Manjack, tant que le mort n’a pas été retrouvé, on ne pourra pas faire de deuil. C’est pourquoi, beaucoup de ces familles n’ont pas accepté d’être indemnisées… Pour le président de l’Association des victimes et rescapés du Joola, Boubacar Bâ, c’est une des raisons qui fondent leur démarche pour aboutir au renflouement de l’épave.

Wal Fadjri : Quelles sont les promesses qui ont été faites par l’Etat et qu’est-ce qui a été fait, concrètement, dans ce sens, six ans après le naufrage du Joola ?

Boubacar BA : Nous avions souscrit à un règlement à l’amiable, au lendemain du drame. Un règlement supposé inscrire un certain nombre de promesses faites par le président de la République. Et parmi ces promesses, il y a la question des indemnisations, le renflouement de l’épave du bateau, la prise en charge des orphelins, le remplacement du bateau Le Joola, la création d’une université régionale à Ziguinchor. Aujourd’hui, nous pouvons noter que sur la question des indemnisations que nous appelons, d’ailleurs, ‘soutien’, parce qu’aucun membre de la famille des victimes n’a accepté ce mot ‘indemnisation’. Soutien parce que ce sont des soutiens de famille qui sont restés dans le bateau. Sur cette question précise, 1326 dossiers ont été exécutés à la date de juillet 2005. Aujourd’hui, seulement, on note une dizaine de dossiers qui sont en cours d’instruction, pour des raisons d’insuffisance de dossiers. Et les familles des victimes ont touché dans le cadre de ce fonds d’indemnisation : 16 milliards 260 millions de francs Cfa. Donc pour l’indemnisation, on peut dire que l’Etat a fait ce qu’il fallait faire. Concernant la question de l’université régionale de la Casamance, c’est aussi une satisfaction. Parce que n’oublions pas que dans le cadre de ce naufrage, il y a eu près de 400 élèves et étudiants qui sont restés dans le navire. Le nouveau bateau Aline Sitoé Diatta s’inscrit aussi dans le cadre des promesses tenues. Voilà en gros les points sur lesquels l’Etat à donner satisfaction dans le cadre des promesses qui ont été faites.

Wal Fadjri : Où en êtes-vous avec la question des pupilles de la nation ?

Boubacar BA :
Concernant cette question fondamentale de la prise en charge des orphelins, une loi rétroactive a été votée en octobre 2006 pour prendre effet en janvier 2002. Alors il est impensable pour nous d’imaginer que six ans après le naufrage que jusque-là, aucun de ces enfants n’a été pris en charge comme il se devait. Ces enfants sont, aujourd’hui, pour la plupart abandonnés à eux-mêmes au sein de leur famille d’accueil. C’est une situation insupportable pour tout Sénégalais. Ils sont près de 1900 orphelins recensés à travers les différentes régions du pays par nos responsables. Aujourd’hui, beaucoup d‘entre eux ont atteint l’âge de la maturité. Et faute de moyens, ils n’ont pas pu étudier comme il se doit.

Wal Fadjri : Récemment un décret a été signé, lors d’un conseil des ministres, instituant l’Office national des pupilles de la nation. Comment avez-vous accueilli cette décision ?

Boubacar BA : Nous pensons qu’il ne s’agit pas seulement d’attendre les veilles d’anniversaire comme on l’a souvent fait, à chaque fois, pour brandir un texte soi disant dans le cadre des pupilles de la nation et au lendemain oublier cette question fondamentale. C’est pourquoi, nous estimons que cette fois ci, il faudrait aller très vite. Parce que cela fait six ans, aujourd’hui que nous attendons le règlement de la situation de ces orphelins. Nous espérons que cette fois sera la bonne. Et que dans les jours à venir cette institution sera de mise. Que ces enfants seront convoqués, non seulement pour obtenir ce qui leur revient de droit, mais aussi sur la base de la loi qui a été votée, qu’il y aura nécessairement un rappel de tout ce qu’on devait leur octroyer depuis janvier 2002.

Wal Fadjri : Vous aviez, en rapport avec l’Union européenne, mené des démarches pour renflouer l’épave du bateau. Y a-t-il des avancés dans ce sens ?

Boubacar BA : Il y a deux ou trois ans, nous étions invités à la Commission européenne par son commissaire au développement et à l’action humanitaire, Louis Michel. Lorsque nous l’avons rencontré sur cette question, il a soutenu notre démarche et décidé de nous aider en approchant le président Wade. D’autre part, il a décidé de nous aider avec le concours de ses amis qui sont dans le champ de l’action sur des questions de renflouement dont une société néerlandaise. On devrait traiter avec cette société en faisant d’abord l’état des lieux pour voir la situation du navire. Il fallait ensuite passer aux données techniques pouvant permettre à ladite société de venir faire le travail nécessaire. Et c’est dans le cadre de la coopération bilatérale entre la Commission et l’Etat du Sénégal, qu’ils (Etat du Sénégal et Ue) devraient voir les mécanismes par lesquels ils financeront le renflouement. Louis Michel était venu à Dakar pour rencontrer le président de la République, mais malheureusement par la suite nous n’avons pas eu de sa part, la suite à donner par rapport à la démarche qu’il avait initiée. Les familles hollandaises, qui étaient proche de lui, l’avaient saisi, mais il n’y a pas eu de suite à ce niveau également. Ce qui nous avait un peu heurté en tant que familles, parce qu’on avait beaucoup d’espoir. D’autant qu’il nous avait promis de tout faire pour que le financement puisse aboutir. Et que la partie technique puisse se faire en rapport avec la société néerlandaise.

Wal Fadjri : Peut-on dire que c’en est fini avec le renflouement ?

Boubacar BA : Non, la question du renflouement demeure toujours, parce qu’elle nous tient à cœur pour des questions de principe, de dignité humaine. Je ne pense pas qu’il faille traverser ces lieux tous les jours avec les navires pour atteindre Ziguinchor sans avoir de frissons. Parce qu’on aura toujours un sentiment d’abandon. Les familles des victimes tiennent à ce lieu sacré car, c’est seulement 300 corps qui ont été retrouvés sur un ensemble de plus de 2 000 morts. En Casamance, pour certaines croyances tant que le mort n’a pas été retrouvé, on ne pourra pas faire de deuil. C’est le cas, par exemple, chez les Manjack. C’est pourquoi, beaucoup de ces familles n’ont pas accepté d’être indemnisées parce qu’elles considèrent que leur parent n’est pas mort, n’ayant pas retrouvé le corps. Autant de raisons qui fondent notre démarche pour aboutir au renflouement.

Wal Fadjri : Que répondez-vous à ceux qui pensent que le renflouement de l’épave peut réveiller des traumatismes ?

Boubacar BA : Nous pensons la question autrement. Parce que le fait d’exposer l’épave du bateau pourra toujours réveiller les consciences sur l’indiscipline, nos mauvais comportements... Et cela nous permettra davantage de faire une introspection afin qu’on change de comportements (...).

Walfadjiri – L’Aurore (Sénégal), Propos recueillis par Yakhya MASSALY, 29 septembre 2008


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