Naufrage du Joola : les familles des victimes demandent toujours justice

Le 26 septembre, cela fera six ans que 1 865 personnes ont péri à bord du Joola, un ferry qui transportait plus de trois fois le nombre de passagers autorisés, lorsqu’il a chaviré, au large des côtes gambiennes. Pourtant, l’accident maritime le plus catastrophique jamais survenu sur le continent africain n’a fait l’objet d’aucune poursuite.

Le 12 septembre 2008, le juge français Jean-Wilfrid Noël a émis neuf mandats d’arrêt internationaux contre les responsables sénégalais au pouvoir à l’époque du naufrage, les tenant pour responsable de l’accident, conformément aux accords maritimes signés entre les deux pays. Parmi eux, l’ancien Premier ministre sénégalais, l’ancien ministre des Transports, l’ancien chef des forces armées, ainsi que plusieurs officiers de l’armée et de la marine.

Vingt-deux ressortissants français avaient trouvé la mort au cours du naufrage. Le 19 septembre, 10 avocats réagissaient au nom du gouvernement sénégalais en annonçant qu’ils prévoyaient d’engager, à leur tour, une procédure contre le gouvernement français pour « abus d’autorité et pour avoir discrédité nos institutions », a indiqué Me Moussa Felix Sow, avocat principal.

Au cours d’une conférence de presse, à Dakar, son confrère Me El Hadj Diouf a accusé le juge français de « racisme pur et simple, d’impérialisme judiciaire ». Tandis que les gouvernements échangent les estocades judiciaires et les menaces d’arrestation à l’encontre de leurs anciens hauts responsables respectifs, les familles des victimes continuent quant à elles à attendre que quelqu’un ait à répondre de l’accident devant les tribunaux.

Immédiatement après le naufrage, le président sénégalais Abdoulaye Wade avait en effet déclaré que l’État en assumait la responsabilité, mais que l’unique personne tenue d’en répondre devant les tribunaux serait Issa Diarra, le capitaine du ferry, mort en mer.

À la suite de l’accident, des hauts gradés de l’armée avaient été mutés et réprimandés pour n’avoir pas réagi assez rapidement aux appels à l’aide. Le gouvernement avait également offert 21 000 dollars de dommages et intérêts pour chaque victime du naufrage. En acceptant ces indemnités, les familles consentaient à ne pas engager de poursuites judiciaires à l’encontre du gouvernement.

Ces fonds n’ont toutefois pas été versés en intégralité : les familles devaient pouvoir fournir les documents nécessaires pour prouver leurs liens de parenté avec les victimes, et tous les documents n’ont pas été soumis, selon les responsables des autorités publiques. Les familles des ressortissants français morts au cours du naufrage ont refusé de percevoir ces indemnités et ouvert une enquête contre les autorités sénégalaises, en France, le 1er avril 2003, pour homicide involontaire et non-assistance à personnes en danger.

Contacté à Paris, Alain Verschave, vice-président de l’association créée par les familles des victimes françaises, a expliqué à IRIN que ces mandats d’arrêt avaient été émis pour réclamer justice non seulement pour la mort des citoyens français, mais celle de toutes les personnes noyées au cours du naufrage. « Oui, nous avons engagé ces procédures juridiques, mais au nom de toutes les familles ». Idrissa Diallo, coordinateur du Collectif de coordination des familles des victimes du Joola à Dakar, a salué l’émission de ces mandats d’arrêt. « Le fait que le juge Jean-Wilfrid Noël ait intenté un procès à l’encontre des autorités sénégalaises nous réconforte un peu. Au moins, nous avons l’impression que nos enfants, que nos familles ne sont pas morts en vain ».

L’État lui a versé environ 60 000 dollars d’indemnités, a-t-il dit, pour le décès de ses trois enfants, morts noyés. Mais pour lui, cette somme ne compensera jamais sa perte ni celles des autres familles : « Je travaillais aux États-Unis [à l’époque de l’accident] et j’ai tout quitté [il y a six ans] pour suivre l’affaire de mes enfants. Nous [à l’association], on a tout perdu, [nos] femmes et [nos] enfants ».

M. Diallo a expliqué qu’environ 65 pour cent des victimes du naufrage avaient moins de 26 ans, selon une enquête menée par son association auprès de quelques-uns des 64 rescapés du ferry et des familles des victimes. Pour M. Diallo, les responsables des autorités sénégalaises n’ont pas fini de payer leur dette morale pour le naufrage du ferry. « C’est un choc terrible de perdre d’un coup trois de ses enfants. Pendant des nuits, je ne pouvais pas dormir. Mais j’ai été forcé de l’accepter. On ne peut pas contester la mort ».

Jeune Afrique, IRIN, 22 septembre 2008


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