Crash de Brégnier Cordon : la FENVAC partie civile au procès

Les 9 et 10 octobre 2012 se tient devant le tribunal correctionnel de Bourg en Bresse le procès consécutif au crash d’hélicoptère survenu le 20 juin 2009.

Dès le début de l’information judiciaire, la FENVAC s’est constituée partie civile afin de suivre l’enquête et d’être aux côtés des familles des victimes. Celle ci avec l’aide de la Fédération ont constitué une association, "Aux anges du Mont Cordon", qui a été agréée au titre de l’article 2-15 du code de procédure pénale.

Ci après, nous mettons en ligne une synthèse de l’ordonnance du juge d’instruction qui renvoie devant le tribunal correctionnel la société "Azur Hélicoptères" en tant que personne morale et son dirigeant en tant que personne physique.

Durant ces deux jours d’audience, la FENVAC sera défendue par Me Sébastien BUSY du Barreau de Reims et qui intervient très régulièrement dans de nombreux dossiers d’accidents aériens pour la Fédération et/ou pour des familles de victimes.


Synthèse de l’ordonnance de renvoi rendue par le juge d’instruction :

I. Faits et procédure

Le 20 juin 2009, dans le cadre d’une série de baptêmes de l’air, un hélicoptère et ses 7 passagers s’écrasent sur le Mont Cordon. Une information judiciaire est alors ouverte pour homicide involontaire le 29 juin.

L’état de l’appareil, des corps et de l’environnement autour témoigne de la violence du choc. Les décès sont liés au choc .

➢ Les informations recueillies sur la personnalité du pilote et sur la SA Azur hélicoptère

Les investigations sur la personnalité du pilote le décrivent comme un professionnel sans histoires. Il était qualifié pour piloter ce type d’appareil depuis le 23 juillet 2008.

Concernant la société, ses rapports apparaissent tendus avec l’administration car elle percevait les contrôles comme une lourdeur administrative et il fallait parfois insister pour que les observations faites soient effectuées comme pour la majorité des compagnies aériennes de ce type. Ainsi, le service tutelle technique et certification avait procédé au dessaisissement du responsable des opérations aériennes du fait de la non-conformité et des carences d’actions correctives constatées.

L’appareil litigieux, de type écureuil, était exploité en leasing et bénéficiait d’un certificat de navigabilité délivré le 23 septembre 2008 par les services de l’aviation civile.

➢ Les conclusions de l’expert désigné par le juge d’instruction

Le jour de l’accident, l’appareil était en bon état et respectait l’ensemble des obligations règlementaires.

Le pilote répondait à toutes les exigences relatives à sa licence et en termes d’heures de vol. En revanche, la tenue quotidienne obligatoire du carnet de vol n’était pas respectée. Âgé de 23 ans, il était pilote professionnel depuis moins d’un an et avait seulement 26h de vol en qualité de commandant de bord sur l’appareil.

Les conditions de vol étaient excellentes.

L’expert estime que les causes de l’accident sont dues :

-  A la réalisation d’un vol le long d’une falaise rocheuse, sous le sommet de la falaise et juste au dessus de la cime des arbres avec une manœuvre d’évitement de la montagne face à l’hélicoptère, par un violent virage à droite dommageable pour l’aéronef, dans le but de créer des sensations aux passagers. Cette manœuvre générait un fort facteur de charge, un virage engagé avec une perte d’altitude et une perte de contrôle de l’hélicoptère pendant environ 2 à 3 secondes. Cette manœuvre était non maîtrisée, l’hélicoptère se trouvant sur la tranche et peut-être partiellement sur le dos, le nez en direction du sol. Elle dépassait le domaine de vol certifié de l’hélicoptère et, par conséquent ses limites.

-  A la réalisation d’un pilotage brutal générant de nombreuses alarmes des systèmes de surveillance de l’hélicoptère.

-  Au non respect de la hauteur de sécurité de 500 pieds minimum qui aurait été certainement suffisante pour terminer de redresser la trajectoire pratiquement réalisée lors de l’entrée dans les arbres. La manœuvre a été réalisée sur 300 pieds, pendant environ 1 seconde l’appareil semblait être repris en main, sans pouvoir réaliser le second virage vers la gauche.
Le pilote avait également commis plusieurs fautes importantes par imprudence (non-respect du domaine de vol – facteur de charge Nz, centrage avant, limites structurales des planchers et des limitations de l’hélicoptère – aéronef non certifié acrobatique, dépassement paramètre couple, régime rotor, régime moteur) et non-respect de la règlementation (calcul du chargement). Les règles relatives à la hauteur avaient été enfreintes. Toutefois, le léger dépassement de l’enveloppe de centrage ne pouvait être ni la cause, ni un facteur contributif puisqu’il existait une marge de sécurité.

En conclusion, l’accident aurait pu être évité sans les fautes de pilotage. Il n’est pas possible d’invoquer une carence de la structure, l’encadrement, l’organisation de l’entreprise, dans l’entretien ou la conception de l’hélicoptère, dans la formation ou dans un environnement propice à faire une erreur.

Le rapport du BEA aboutit aux mêmes conclusions en soulignant que les manœuvres à caractère acrobatiques effectuées par le pilote étaient la cause directe de l’accident, que l’évolution en dehors des limites certifiées de masse de centrage ( quantité de carburant restant à bord supérieure à celle estimée par le pilote, l’absence de devis de masse et centrage durant la manifestation et configuration avec 7 personnes nécessitant un calcul précis tenant compte des masses réelle des passagers) ainsi que l’absence d’une structure et d’une organisation adaptée, à savoir le directeur des vols qui n’avait assisté qu’à une partie de la manifestation avaient pu contribuer à cet accident.

➢ Les conclusions de l’enquête de la gendarmerie des transports aériens

-  Sur le pilotage :
Les témoignages de plusieurs participants révèlent la proposition de manœuvres à sensation confirmés par ceux des témoins au sol : virages serrés frôlant la montagne, forte nclinaison, descentes en piquet.

-  Sur l’équilibrage de l’appareil :

Le pilote devait effectuer un calcul de centrage et aurait dû effectuer un devis de masse et de centrage standard l’amenant à calculer le poids, la masse et le centrage de l’aéronef et vérifier qu’il ne dépassait pas les limites d’exploitation.
Or, le vol litigieux présentait des écarts de centrage importants ayant un impact sur la manœuvrabilité et la stabilité de l’appareil interdisant toute manœuvre brutale.

Par ailleurs, les passagers choisissaient leurs places à bord sans vérification des limites de poids.

➢ Le non-respect des prescriptions de l’arrêté préfectoral d’autorisation

-  Sur le cadre réglementaire :
L’arrêté ministériel régissant les manifestations aériennes prévoit l’assistance du pilote par une personne au sol chargée de l’ordre et la sécurité, présence obligatoire lors de l’embarquement et le débarquement pour les baptêmes de l’air (art. 19 arrêté ministériel 4 avril 1996).

L’arrêté préfectoral du 18 juin 2009 autorisant la manifestation mentionnait classiquement la présence physique obligatoire du directeur de vol pendant toute sa durée, sans toutefois pouvoir y participer activement en qualité de pilote engagé, afin de s’assurer de la sécurité des vols et exercer son pouvoir de décision.

-  Sur l’organisation de la manifestation :
La demande d’autorisation de la manifestation a été établie et signée par Nicolas DOTTO, stagiaire au sein de l’entreprise. Il était présent au sol le jour de l’accident.

J-F DEROO devait assurer la fonction de directeur de vol seulement, il n’a assumé cette fonction qu’un court instant le jour de l’accident.

Deux bénévoles, l’un exerçant la fonction d’assistant de vol et l’autre chargé de la caisse et billets de rotation, étaient présents également le jour de l’accident. Ils n’ont pas constaté de comportement dangereux de la part du pilote. L’assistant de vol déclare ne pas savoir effectuer un devis de masse de centrage pour le type d’appareil litigieux.

L’absence de signal pour matérialiser l’atterrissage et l’absence de manche à vent sont constatées en violation des prescriptions de l’arrêté préfectoral.

➢ Les auditions et mises en examen

-  Nicolas D.
Il suivait une formation de pilote professionnel au sein de la société depuis mars 2006. Il était stagiaire au moment de l’accident.

Il était opérateur au sol pour la société et était chargé de l’organisation des vols et de la préparation des aéronefs. Il s’est chargé de la demande d’autorisation de la manifestation sans être supervisé.

En sa qualité d’assistant au sol, il a réalisé la mise en place de la zone d’envol et reconnaît l’absence de symbole au sol pour l’atterrissage et de manche à vent.

Il déclare que le vol litigieux était le seul avec 6 passagers à bord, qu’il n’y avait pas de communication radio entre le pilote et lui-même au cours des vols, qu’aucun devis de centrage n’avait été effectué et que les passagers se plaçaient à leur guise. On ne l’avait jamais informé qu’il fallait procéder à des pesées.

Il a veillé aux cours des vols au respect des conditions de sécurité (zone réservée, ceinturage des passagers, délivrance de tickets. Il n’avait aucune autorité sur le pilote et ne l’a donc pas recadré malgré les constatations des manœuvres du pilote. Il déclare que la société ne proposait pas de vols à sensation.

Il souligne une charge de travail importante en augmentation sans que suivent les effectifs.

Il a été mis en examen pour homicide involontaire le 5 mai 2010.
L’enquête révèle qu’un précédent stagiaire avait été recruté sans contrat de travail et bulletin de paie.

Ayant qualité de stagiaire, la responsabilité pèse sur l’employeur, les conditions de délégation de pouvoir n’étant pas réunies.

-  Jean-François D.

Il exerçait dans la société en qualité de pilote professionnel depuis 2007 et était devenu instructeur sur l’ensemble des appareils.
Le jour de l’accident, il avait plusieurs missions. Il est allé en début d’après midi sur le site pour vérifier que tout se passe bien. Il serait intervenu s’il avait constaté quoi que ce soit.

Il ignorait que Nicolas D. était un simple stagiaire et considérait qu’il ne ressortait pas de ses fonctions d’élaborer les dossiers de demande d’autorisation des manifestations.

Il ignorait que les fonctions de pilote et directeur de vol devaient ne pouvaient être cumulées et n’en avait pas été informé au moment où il a été sollicité pour la mission litigieuse.

Il déclare qu’une masse forfaitaire avait été établie en fonction du sexe des passagers, que c’était le rôle de ‘assistant de vol et enfin que chacun disposait d’un ordinateur pour le calcul de centrage.

Il a été mis en examen pour homicide involontaire le 5 mai 2010.

-  Michel DE ROHOZINSKI (dirigeant d’Azur Hélicoptères)
Le pilote avait toute sa confiance et les baptêmes de l’air étaient considérés comme des missions faciles qui pouvaient être confiées à un pilote peu expérimenté.

Il admet que le comportement du pilote constitue des fautes graves. Il précise que le devis de centrage devait être effectué par le commandant de bord et non par le personnel au sol.

Il indique que les demandes d’autorisations de manifestations étaient toujours soumises à validation de sa part.

Il ignorait que les fonctions de pilote et directeur de vol devaient ne pouvaient être cumulées au cours de petites manifestations.

Il déclare n’avoir confié aucune mission particulière à Jean-François D. le jour de l’accident et que c’est de sa propre initiative qu’il a décidé sa place au pilote en cause dans l’accident.
Il a été mis en examen le 6 mai 2010 en même temps que sa société.

➢ Les confrontations
Une confrontation entre les mis en examens a été organisée par le magistrat le 11 janvier 2011 et il en ressort les éléments suivants :

-  Sur les circonstances de l’accident :
• Absence de statut et de qualifications de Nicolas D. pour intervenir dans la façon de piloter et gérer les vols, les manœuvres du pilote lui paraissaient bien maîtrisées, il savait que le survol du parc était interdit mais était dans l’impossibilité de déterminer la trajectoire de l’appareil d’où il était placé ;
• Jean-François D. confirme que les manœuvres étaient interdites tout en admettant qu’il n’est pas facile de les évaluer depuis le sol.

-  Sur l’organisation du site :
• F. exerçait les fonctions de RDOA (responsable désigné des opérations aériennes) mais le directeur de la société admet que c’est à lui que remontaient toutes difficultés ;
• Jean-François D. et M. avaient des attributions similaires et il n’avait aucune légitimité à le commander.

-  Sur les attributions de Nicolas D. :
• Il avait signé 3 conventions de stage, ne percevait aucune rémunération mais bénéficiait de la formation ;
• Il était chargé des demandes d’autorisation, tache simple selon lui, et personne ne le supervisait ;
• Il n’avait aucune autorité sur les pilotes.

-  Sur la désignation du directeur de vol et son adjoint :
• Nicolas D. considère que son statut ne lui permettait pas d’être directeur de vol en application des dispositions règlementaires ;
• Les 3 mis en examens admettent ne pas avoir lu attentivement l’arrêté préfectoral du 19 juin 2009 qui distinguait les fonctions de directeur de vol et de pilote et ignoraient cette obligation pour les manifestations de faible importance.

En conséquence, le comportement du pilote constitue la cause directe de l’accident.

En application de l’article 121-3 du Code pénal, « les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer ».

La faute doit s’apprécier au regard des fonctions, des compétences et des pouvoirs de l’auteur des faits.

Le cadre règlementaire de la manifestation est régi par l’arrêté ministériel du 4 avril 1996 et l’arrêté préfectoral du 18 juin 2009.

Il en résulte que :

1°) L’organisateur doit être le rédacteur de la demande et c’est sur lui que pèse la responsabilité de la manifestation.

En l’espèce, il s’agit de Nicolas D. qui n’était que stagiaire dans la société au moment des faits.

Il n’avait donc pas les compétences ni l’autorité pour assurer cette fonction.

2°) La fonction de directeur de vol ne pouvait être cumulée avec celle de pilote. Il devait être physiquement présent pendant toute la manifestation, sans y participer activement en qualité de pilote.

Or, Jrean-François D. n’est resté qu’un court instant sur le site.

Les dispositions règlementaires ont donc été clairement violées.

Le responsable en qualité d’organisateur et de dirigeant de la société est M. DE ROHOZINSKI qui avait seul l’autorité et les moyens d’assurer la sécurité. Les disfonctionnements lui sont donc directement imputables et constituent une faute caractérisée de l’article 121-3 du code pénal qui a contribué à la réalisation du dommage.

Renvoi de M. DE ROHOZINSKI et de la S.A. Azur hélicoptère (infraction commise pour son compte par son représentant) devant le tribunal correctionnel du chef d’homicide involontaire.

Non-lieu de Nicolas D. , simple stagiaire.
Non-lieu de Jean-François D., dans l’incapacité d’exercer les missions confiées par son employeur.


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