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C’est dans l’incompréhension et la colère que se sont réunis, samedi, ceux qui ont été frappés par les surirradiations à l’hôpital d’Epinal. Soit plusieurs centaines de patients dont la vie a été mise en danger pendant un traitement, et qui en subissent encore les séquelles. Entre émotion et détermination, ils sont bien décidés à mener jusqu’au bout la bataille qui leur rendra justice.

Ils affluent de tout le massif vosgien. De Gérardmer, Saint-Dié, Remiremont ? des campagnes aussi. Une bonne centaine de personnes ont fait le voyage pour assister, hier, à la première assemblée générale de l’Association vosgienne des surirradiés de l’hôpital d’Epinal (AVSHE). Victimes d’une catastrophe sanitaire sans précédent - des centaines de patients touchés par des surdoses de rayons -, elles sont venues demander réparation : "Nous avons créé cette association non pas pour sortir les mouchoirs, mais bien pour aller à la bagarre", confirme son président, Philippe Stabler.

A la sortie de l’AG, les mouchoirs sont bien restés au fond des poches. Même si l’émotion se lisait sur beaucoup de visages, c’est l’incompréhension et la colère qui revenaient le plus souvent dans les bouches. Non loin de la salle prêtée par la mairie, dans le quartier Saint-Laurent à Epinal, Jean-Claude Wexler veut parler. Briser le silence qui a trop longtemps étouffé cette affaire. Traité en 2006 pour un cancer de la prostate, il a reçu une surdose de 8%. A 60 ans, cet ancien chef de vente chez Peugeot évoque rapidement ses problèmes d’incontinence et de fatigue, car c’est l’état de son père qui le préoccupe avant tout : "Il est à l’agonie. Je viens d’apprendre en début de semaine qu’il a été lui aussi surirradié en 2004 pour un cancer de la prostate ?" C’est le médecin de la maison médicalisée, près de Gérardmer, qui l’a prévenu. "L’urine passait dans ses intestins. En faisant des examens, ils se sont aperçus qu’il avait été gravement brûlé par les radiations." Jean-Claude est révolté : "Moi, mon père ? Mais si on les avait laissés continuer comme ça, ils auraient eu aussi mes gosses !" Comme une centaine d’autres, il a déposé plainte au pénal et "demain, [j’]en dépose une autre, pour mon père. Il faut savoir ce qu’il s’est passé !"

Trois accidents successifs

Au nom des 125 adhérents de l’AVSHE, Philippe Stabler a confirmé hier qu’il était "bien décidé à mener cette bataille". Cet informaticien de 54 ans, surirradié lui aussi à plus de 8% pour un cancer de la prostate, a demandé que "les victimes soient rapidement indemnisées" et que "la justice établisse clairement les responsabilités de ces erreurs en série". Car il s’agit bien de trois accidents successifs, survenus entre 1989 et 2006, dans le service de radiothérapie d’Epinal. Avec, à chaque fois, des causes différentes. Un mauvais paramétrage d’un logiciel de calcul des doses entre mai 2004 et août 2005. Résultat : un surdosage de 28% chez 24 hommes traités pour un cancer de la prostate. Cinq d’entre eux sont déjà morts. Il y a aussi ces doses délivrées qu’on oublie de retrancher du traitement. Près de 400 patients subiront une surexposition de 8% entre 2001 et 2006.

Enfin, pour parachever la liste de dysfonctionnements, on apprend, en septembre dernier, qu’une autre erreur de paramétrage - entraînant cette fois un temps d’irradiation plus long - a potentiellement touché près de 5 000 patients sur la période 1989-2000. Selon les premiers éléments de l’enquête, quelque 300 d’entre eux auraient reçu un excédent de radiations de 7%. Chez les autres, le surdosage n’excéderait pas 5,5%. A ces niveaux, selon les spécialistes, les conséquences sanitaires seraient difficilement identifiables. "En fait, on n’en sait rien, rétorque Me Gérard Weltzer, l’avocat de l’association, qui s’inquiète de l’ampleur de la catastrophe. Personne ne sait avec précision combien il y a de victimes", constate-t-il.

A Toulouse aussi, on se met en ordre de bataille

Devant l’étendue des dégâts, deux juges d’instruction du pôle de santé publique de Paris ont été désignés cet été pour enquêter sur ce drame sanitaire. Les juges Anne-Marie Bellot et Pascal Gand devraient se rendre à Epinal le 17 octobre afin de rencontrer les victimes, réunies pour l’occasion dans une salle d’audience du palais de justice, et signer là le premier acte d’une procédure qui s’annonce gigantesque.

A Toulouse, d’autres victimes de rayons à haute dose se mettent aussi en ordre de bataille. Deux associations de patients touchés par des surdoses de radiations lors d’un traitement par radiochirurgie au CHU de Rangueil, entre avril 2006 et avril 2007, se sont réunies en début de semaine pour réclamer une commission d’indemnisation. Deux des 145 patients surirradiés de Rangueil sont morts cet été. Les autres souffrent de paralysie faciale, de brûlures, de perte de la vue ou de l’ouïe, alors qu’ils étaient opérés parfois pour une tumeur bénigne ou une petite malformation du cerveau. Me Christophe Léguevaques, avocat de l’association "SOS irradiés 31", attend les conclusions du rapport d’enquête de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pour déposer une série de plaintes au pénal.

La répétition dramatique de ces accidents a conduit les autorités à réagir. Roselyne Bachelot, en recevant le mois dernier les représentants des victimes d’Epinal au ministère de la Santé, leur avait alors rappelé qu’elle attendait, pour la fin septembre, les propositions du groupe de travail sur la radiothérapie mis en place en mars dernier. "Des mesures fortes" pour sécuriser cette pratique seraient alors annoncées "très vite", leur avait-elle promis. Le ministère évoque maintenant la fin de l’année.

Emmanuelle CHANTEPIE, envoyée spéciale à Epinal - Le Journal du Dimanche - 7 décembre 2007


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