Sid Ahmed Ghlam devant le juge

Convoqué ce mercredi, l’étudiant algérien a dû s’expliquer sur le rapport balistique qui met à mal sa version des faits.

Une nouvelle fois, ce mercredi 20 juin dans l’après-midi, Sid Ahmed Ghlam a pris place dans le bureau du juge d’instruction Christophe Teissier. Selon nos informations, le principal suspect dans l’attentat avorté de Villejuif et le meurtre d’Aurélie Châtelain était convoqué à 14h pour un interrogatoire sur le fond. Il va notamment devoir s’expliquer, pour la première fois, sur le rapport balistique remis en mars dernier.

Depuis plus de trois ans, l’instruction tente de percer à jour ce qui s’est réellement passé le 19 mars 2015 à Villejuif (Val-de-Marne). Ce dimanche-là, il est 8 heures 50 heures lorsque Ghlam, étudiant en informatique algérien de 23 ans, fiché S pour radicalisation islamiste, appelle lui-même le SAMU après s’être tiré une balle dans la jambe gauche. Dans sa voiture et sa chambre du XIIIe arrondissement de Paris, les policiers retrouvent quatre kalachnikovs, deux armes de poing et des gilets pare-balles.
Le suspect a reconnu avoir été téléguidé par le groupe Etat islamique (EI) pour attaquer une église de Villejuif, trois mois après les attentats de janvier 2015. Mais il nie avoir abattu Aurélie Châtelain, professeur de fitness de 32 ans, retrouvée morte sur le siège avant droit de son véhicule. Sid Ahmed Ghlam assure qu’elle a été tuée accidentellement par un mystérieux complice. Paniqué, en quête d’un prétexte pour se rendre, l’étudiant se serait alors volontairement tiré dans la jambe.

"Un intellectuel aspiré par la mouvance islamiste"
A l’occasion de la reconstitution organisée en mars 2016, le jeune homme a d’ailleurs mimé un coup de feu à travers sa veste et son pantalon. Pourtant, le rapport balistique que L’Express a pu consulter, daté du 27 mars et cosigné par trois experts, met à mal ce scénario. "La version de M. Ghlam (...) n’est pas compatible avec les données techniques, balistiques et vestimentaires", notent les spécialistes. Selon eux, "lors du départ du coup de feu, la bouche du canon était obstruée par un pli du débardeur (et) positionnée entre la peau et le pantalon." Sans se prononcer sur le caractère volontaire ou accidentel du tir, celui-ci correspond, "jusqu’à preuve du contraire, à une remise en place de l’arme au niveau de la ceinture."
Cette expertise est jugée "un peu confuse" par la défense. "Elle n’infirme pas la thèse de l’automutilation volontaire soutenue par Ghlam, ni la présence d’une autre personne sur les lieux", estime Me Gilles-Jean Portejoie, qui présente son client comme "un intellectuel, fragilisé par des déconvenues amoureuses, qui a été aspiré par la mouvance islamiste". "Il a absorbé ces théories, mais au moment du passage à l’acte, il s’est dérobé", soutient l’avocat.

Me Antoine Casubolo-Ferro, le conseil de la famille Châtelain, s’insurge contre cette interprétation : "Ghlam a tout simplement menti en tentant de se dédouaner : la façon dont il dit s’être blessé délibérément ne correspond pas aux conclusions des spécialistes. Nous nous étonnons d’ailleurs que sa défense n’ait pas demandé une contre-expertise."

Les proches de la jeune femme, mère d’une petite fille aujourd’hui âgée de sept ans, écartent eux aussi la thèse de la reculade. "Tous les jours, je pense à ma fille et à ses derniers instants, à la terreur qu’elle a pu ressentir. Je voudrais qu’il (Sid Ahmed Ghlam) nous dise ce qu’il sait. Mais je n’y crois pas. Je ne pense pas qu’il va avouer et nous dire comment Aurélie est morte", confie à L’Express son père, Jean-Luc Châtelain. "L’enquête a démontré que Ghlam a agi seul, mais lui affirme le contraire, ce qu’aucun élément matériel ne vient corroborer", note une source proche de l’enquête.

Deux procès se profilent
Le père d’Aurélie, son ex-femme et le compagnon de sa fille, parties civiles dans ce dossier, ont été reçus pendant près de deux heures, le 12 juin dernier, par le juge Teissier. Un dernier point d’étape avec les proches avant son départ du pôle antiterroriste à la rentrée. "Nous nous sommes attachés à lui. C’est quelqu’un de très humain, qui connaît le dossier par coeur et nous a toujours bien expliqué les choses", commente Jean-Luc Châtelain.

Le magistrat attend encore le retour d’une commission rogatoire en Algérie. Il souhaite recueillir les témoignages des épouses des donneurs d’ordre présumés de Ghlam. Ces deux cadres de l’EI, Abdelnasser Benyoucef, alias "Abou Moutana", et Samir Nouad, dit "Amirouche", seraient morts en Syrie. Quant à leurs femmes, elles sont incarcérées sur le sol algérien.

Les avocats de Ghlam, eux, souhaitent une clôture rapide de l’enquête. "Nous nous expliquons depuis des mois sur les fameux commanditaires, souligne Me Gilles-Jean Portejoie. Or la procédure pénale n’est pas faite pour contribuer, à travers une affaire, à l’éclaircissement d’autres dossiers. Nous ne sommes pas dans l’antichambre du renseignement."

D’après les informations recueillies par L’Express, alors que l’instruction pourrait être clôturée à l’automne, on s’orienterait vers l’organisation de deux procès distincts pour juger les huit mis en examen de l’affaire. Les deux hommes dont les empreintes ont été relevées sur les armes de Ghlam devraient en effet comparaître devant la 16e chambre du tribunal correctionnel pour association de malfaiteurs. Quant aux six autres, dont le principal accusé, ils seraient jugés aux assises à la fin 2019 ou au début de 2020.

Source : L’Express
Auteurs : Claire Hache et Claire Vidalie
Date : 20/06/2018

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