Rompu à l’instruction mais novice en matière...

Rompu à l’instruction mais novice en matière antiterroriste, Stanislas Sandarps fait face à un dossier tentaculaire qu’il a un an pour boucler. Le procès des plus graves attentats jamais perpétrés en France devait se tenir en 2020.

Près de trois ans après les massacres sans précédent qui ont ensanglanté Paris et Saint-Denis, l’instruction judiciaire connaît un nouveau chambardement. Ainsi que le révélait Paris Match en avril dernier, Christophe Teissier, le juge qui dirigeait l’enquête depuis l’origine, a bien été débarqué. Début septembre, il a rejoint le tribunal de Nîmes en tant que premier président chargé de l’instruction. A sa place vient d’être nommé Stanislas Sandarps, qui occupait précédemment des fonctions identiques à Marseille.

L’équipe judiciaire en charge des attentats du 13 novembre est donc au complet : cinq juges d’instruction, désormais chapeautés par Stanislas Sandarps. Magistrat depuis 18 ans ayant effectué toute sa carrière à l’instruction, également sous-lieutenant de réserve dans l’Armée de Terre, le juge découvre donc un dossier tentaculaire alignant plus de 230 tomes et plus de 30.000 procès verbaux. Il n’est pas le premier à être novice dans le domaine particulier de l’antiterrorisme. Sa consœur Emmanuelle Robinson a de même rejoint le pôle antiterroriste en janvier dernier, alors qu’elle s’occupait précédemment des affaires de santé publique.

Ce jeu de chaises musicales n’est pas sans susciter des interrogations au Palais de justice et parmi les robes noires. Ainsi, un avocat qui représente de nombreuses victimes du 13 novembre s’étonne : « Le juge qui va clore cette gigantesque instruction la prend en cours de route ! Il va devoir se familiariser avec un dossier énorme et extrêmement complexe en un temps record. Sans douter de ses qualités et de son professionnalisme, cela est tout de même insolite pour une affaire de cette importance ».

La mutation du juge Teissier à Nîmes est certes une promotion statutaire. Ce juge avait instruit l’affaire Merah, dans laquelle le frère Abdelkader a échappé à la perpétuité, reconnu non-coupable de « complicité d’assassinats », celle des « logeurs de Daech » qui s’est soldée par une relaxe de Jawad Bendaoud. Surtout, c’est encore Teissier qui avait instruit durant deux ans et demi l’affaire d’un projet d’attentat contre... le Bataclan, mettant à l’ombre un suspect durant 16 mois, avant de prononcer un non-lieu en septembre 2012 (lire notre enquête). A mots à peine couverts, certains avocats ne regrettent pas qu’il ait passé la main...

Les zones d’ombre de l’affaire Coulibaly

La machine judiciaire pourrait donc se remettre en route sereinement mais, à peine connue, la nomination du juge Sandarps soulève pour certains une question embarrassante liée à un autre attentat, celui de l’Hyper Cacher perpétré le 9 janvier 2015 par Amedy Coulibaly. Les armes utilisées ce jour-là par le terroriste lui ont été fournies via un réseau animé par un certain Claude Hermant, figure connue de l’extrême droite lilloise, et sa compagne. Or, il est avéré que le dit Hermant était un indicateur de la gendarmerie et des douanes. Ces services l’auraient utilisé, ainsi qu’un voyou, Samir Ladjali, pour infiltrer une filière de trafic d’armes provenant d’Europe de l’Est. Ce sont bien certaines de ces armes qui sont arrivées entre les mains de Coulibaly. Hermant et sa compagne ont été interpellés le 20 janvier 2015. Et c’est le juge Stanislas Sandarps, alors en poste à Lille, qui était chargé de cette affaire.

Problème, le lien entre le trafic d’armes et les attentats de Coulibaly, bien qu’avéré depuis l’origine, n’a pas été relevé par le magistrat. Dès le 24 janvier 2014, le quotidien « La Voix du Nord » publiait un article intitulé : « Trafic d’armes : la police judiciaire va-t-elle remonter de l’ultradroite jusqu’à Coulibaly ? ». Le juge Sandarps indiquait de son côté qu’Hermant et son épouse avaient été arrêtés « de manière fortuite », sur une information provenant des douanes.

Il faudra plus de quatre mois pour que Nathalie Poux, la juge parisienne en charge de l’instruction du meurtre d’une policière par Coulibaly le 8 janvier 2015 et de la prise d’otages sanglante l’Hyper Cacher (également co-saisie des attentats du 13 novembre) dispose enfin de l’identification précises des armes utilisées par Coulibaly, qui provenaient bien du réseau Hermant. Cette affaire dans l’affaire pose la question de la connaissance par la gendarmerie, les douanes, puis la justice, des liens entre banditisme, trafic d’armes et terrorisme. Aujourd’hui, ce volet qui garde ses parts d’ombre semble clos. La juge Nathalie Poux a convoqué les avocats ce mardi 25 septembre pour un point sur l’enquête en passe d’être bouclée.

Un futur parquet antiterroriste

Deux autres changements majeurs vont bouleverser la justice antiterroriste ces prochains mois. Tout d’abord, le très médiatique procureur de la République de Paris, François Molins, 65 ans, quittera ses fonctions pour être promu au prestigieuses fonctions de procureur général près la Cour de cassation en novembre prochain. Il devrait être remplacé par l’actuel procureur de la République de Lyon, Marc Cimamonti. Enfin, après moultes tergiversations, le Président de la République a tranché en faveur de la création d’un parquet national antiterroriste. Cette structure, autonome, à l’instar du parquet national financier, verra prochainement le jour. Celui qui la dirigera sera alors en première ligne quant aux très nombreux et sensibles dossiers terroristes. Un poste exposé dont le nom du futur titulaire fait actuellement l’objet de toutes les spéculations.

Source : Paris Match
Auteur : Philippe Cohen-Grilletate
Date : 24/09/2018

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