Procès de Jawad Bendaoud : "Je me suis couchée sur mes enfants pendant huit heures", témoigne une victime du 18 novembre 2015

Le tribunal correctionnel de Paris a entendu mercredi des voisins, encore traumatisés, du squat où le prévenu avait hébergé des jihadistes du 13-Novembre. L’association SOS Attentats appuie leur demande de statut de victimes du terrorisme.

Le tribunal correctionnel de Paris a entendu mercredi 31 janvier des voisins du squat à Saint-Denis, au nord de Paris, où Jawad Bendaoud avait hébergé des jihadistes du 13-Novembre. Ces locataires, toujours choqués par l’intervention du Raid le 18 novembre 2015, demandent le statut de victimes du terrorisme, appuyés par SOS Attentats.

L’onde des traumatismes

Charif, âgé d’une vingtaine d’années, s’avance un peu tremblant à la barre. Un traducteur à ses côtés, le jeune homme parle dans sa langue, l’arabe, pour davantage de fluidité. Il raconte son 18 novembre 2015, réveillé à 4 heures du matin par une énorme explosion, suivie de tirs en rafales. Il dit avoir "cru mourir" et pensé que "l’immeuble allait s’effondrer". Charif se souvient de l’entrée des forces de l’ordre qui l’ont plaqué à terre et frappé, avant de le contrôler. Un policier tirait en l’air. Le jeune homme a reçu un éclat dans l’épaule. Jeté dehors, en short, hagard, il ne sera emmené que deux heures plus tard à l’hôpital pour être opéré.

Avant, la vie "au 48" était douce

Une mère de famille, locataire pendant 14 ans dans le même immeuble, est entendue à son tour. Elle explique "vivre dans l’angoisse" depuis le 18 novembre 2015 et réentendre "les cris de ce matin-là". "Je me suis couchée sur mes enfants pendant huit heures pour les protéger", dit-elle. Pourtant, la vie était douce "au 48", se souvient-elle, avec "les rires dans la cour, les dîners partagés en été, la bonne humeur entre voisins".

La famille a laissé davantage que sa sérénité dans l’assaut. Le mari, salarié du bâtiment avant, est à présent au RSA. L’épouse est angoissée et malheureuse de voir le traumatisme autour d’elle. Son fils, devenu agressif, qui refait pipi au lit. La grande qui a raté son bac et la plus jeune de ses enfants, cinq ans, qui sursaute dès qu’une fourchette tombe. Le soir dans sa chambre, la petite fille gratte les murs pour percer une fenêtre au cas où il faudrait s’enfuir. "On a acheté un sac de plâtre, on bouche les trous", explique le papa qui s’effondre à la barre.

Ces victimes dénoncent une double peine

Ces familles ne bénéficient quasiment pas de prise en charge. Elles ne sont pas reconnues comme des victimes du terrorisme, car elles ont été visées par le Raid, et non par des terroristes, dit l’administration. Le jeune Charif a été relogé fin 2015 dans un hôtel sans confort. Il y est toujours. Pour la famille venue aussi à la barre, il n’y pas d’indemnisation, ni de prise en charge psychologique, ce qui provoque un ressenti d’injustice. Ils ont le sentiment que s’ils avaient habité Paris et non la banlieue, que s’ils avaient été plus fortunés, plus important socialement, ils seraient bien mieux considérés. L’influente fondatrice en 1986 de l’association SOS Attentat, Françoise Rudetzki, est venue les voir à l’audience jeudi. Elle qui avoue "n’avoir jamais été confrontée à un tel scandale", est venue leur apporter son soutien. "Je m’occupe de victimes depuis plus de trente ans, dit-elle, mais là, j’avoue que je suis scandalisée de la façon dont ces victimes, que j’appelle des victimes de seconde zone pour les pouvoirs publics, sont traitées."

« Ce n’est pas possible qu’on ne puisse pas les reloger ces personnes que l’on sent en grande détresse sociale, psychologique. »
Françoise Rudetzkià franceinfo

Francoise Rudetzki rappelle qu’après l’assaut, les ministères de la Justice et de l’Intérieur s’étaient engagés à accompagner ces locataires de l’immeuble dévasté de Saint-Denis. Tant que cette promesse ne sera pas pleinement respectée, le combat pour ces familles va continuer, prévient-elle. Tous espèrent que leurs témoignages à l’audience vont les mettre sur la voie d’une véritable reconnaissance et d’une réelle indemnisation.

Date : 01/02/18
Auteur : Mathilde Lemaire
Source : FranceInfo

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