Pourquoi "13 novembre - Fluctuat Nec Mergitur", le documentaire Netflix, divise

La série-documentaire Netflix en ligne depuis le 1er juin dernier ne fait pas l’unanimité entre les spectateurs anonymes, les rescapés et les proches de victimes.

"Je ne vous cache pas que tout le monde n’est pas sur la même longueur d’ondes", confie Nicolas, rescapé du Bataclan, à RTL.fr. Il fait partie des 40 témoignages recueillis par les réalisateurs Jules et Gédéon Naudet pour leur série-documentaire en trois parties sur les attentats du 13 novembre 2015 à Saint-Denis et Paris, disponible sur Netflix.

13 novembre - Fluctuat Nec Mergitur retrace la nuit sanglante qui a fait 130 morts et des centaines de blessés. Une soirée racontée à travers les témoignages de rescapés et de primo-intervenants. Et le documentaire est loin de faire l’unanimité parmi les spectateurs, notamment les personnes touchées.

Nadine Ribet - administratrice de l’association 13Onze15 - ne le regardera pas. Elle n’a pas compris le choix des frères Naudet. Son fils Valentin a été assassiné au Bataclan et elle regrette profondément que la parole n’ait pas été donnée aux proches des 130 victimes.

Sur les 40 témoignages, 25 sont des survivants et 15 des intervenants (pompiers, forces de l’ordre, vigile). Un parti pris que Nadine Ribet ne digère pas. Contactée par RTL.fr, elle dénonce : "On a été heurtés et choqués que les familles endeuillées aient été occultées, ce sont les 130 voix des personnes assassinées que l’on entendra pas".

Je trouve ça très injuste qu’on ne parle pas des morts

Elle déplore une "vision partielle de l’événement" qui "ne parle pas des morts". La mère meurtrie imagine une quatrième partie avec l’histoire des proches et comment, eux, ont vécu la soirée : "Comment on a réagi quand on était chez nous à 22h30, comment on a essayé d’avoir des nouvelles, avec les réseaux sociaux, le numéro vert, à la mairie du XIe, puis à l’institut médico-légal, quand on a su..."

Une partie qui, selon elle, aurait également pu donner la parole aux gardiens d’immeuble qui ont porté secours aux blessés qui s’échappaient de la salle de concert - 7 ont d’ailleurs été décorés par la mairie de Paris. "Je trouve ça très injuste qu’on ne parle pas des morts", martèle-t-elle.

Sarah Kay, également de l’association 13Onze15, partage son avis, mais nuance. Elle applaudie "l’approche sobre par rapport à d’autres documentaires", mais trouve cela "difficile d’en parler sans accéder aux familles". "Je pense qu’ils voulaient avoir des gens qui allaient revivre, mais le deuil aussi est une réalité", ajoute-t-elle.

Les frères Naudet ont en effet expliqué sur RTL qu’ils avaient "ce besoin de trouver quelque chose de beau dans l’horreur". Sarah Kay estime alors qu’il s’agit d’avantage d’un documentaire pour ceux qui ne l’ont pas vécu, "qui ne savent pas comment ça s’est passé".

"Trop tôt" et "sensationnaliste" ?

Pour Nicolas, rescapé du Bataclan qui témoigne dans le documentaire, c’est l’inverse. Lui a l’impression que leur "parole a été portée" et que pour une fois, "l’histoire est portée de notre point de vue, pas du leur (aux terroristes, ndlr)".

Il le conseillera à ses proches, même s’il prévient : "Je pense qu’il faut prendre le temps de regarder les trois parties séparément". Pareil pour Sophie, rescapée du Bataclan : "En temps de commémoration on rend hommage aux morts et je comprends. Mais là c’est bien qu’on parle de nous, notre galère au quotidien". Si elle "comprend la douleur des proches", elle "approuve cette décision".

Nicolas a même appris des choses sur sa "propre histoire", notamment sur les terrasses. Lui était caché sous le toit du Bataclan ce soir-là. "On parle beaucoup du Bataclan mais cette première heure permet de remettre dans le contexte et ne pas oublier. Cela permet de réaliser certaines choses et d’apprendre sur notre histoire", ce qui, pour lui, est "important pour notre thérapie".

Ils se sont tournés vers la partie humaine, pas trash

Il ne pense pas que ce soit trop tôt, au contraire. "C’est le bon timing, avant les téléfilms". Plusieurs productions télévisées seraient en préparation à le croire. Sarah Kay n’est pas de cet avis et considère, au contraire, qu’il arrive trop tôt.

Jointe par RTL.fr, 13Onze15 estime également qu’il est "encore trop tôt" et que "même si l’on s’en défend", "il y a derrière tout cela une forme de sensationnalisme" ainsi qu’une "forme d’exploitation commerciale", pointant ainsi la volonté, intrinsèque à une telle production, d’avoir de l’audience. Nicolas soutient les réalisateurs sur ce point-là : "Sachant ce que j’ai raconté pendant 3 heures, s’ils avaient voulu faire dedans, ils auraient eu matière, mais ils se sont tournés vers la partie humaine, pas trash".

Une affaire de "gros sous", c’est aussi la critique virulente de Gérard Dubois, qui a perdu son fils Fabrice au Bataclan. Il dénonce un "scandale" et se demande "comment peut-on laisser faire et passer sur Netfix un documentaire sur l’horreur du 13 novembre 2015 ?" "Honte à vous messieurs qui remuaient le malheur qui nous habite", répond-il aux réalisateurs qui, selon lui, "n’auraient pas eu l’idée de revenir caméra en avant sur cette journée", s’ils "avaient eu un proche assassiné ce jour-là".

Ils font de l’argent sur le dos de nos morts

Sa fille Nathalie, et donc sœur de Fabrice Dubois, rejoint l’avis de son père. "Ça me hante depuis trois jours", raconte-t-elle à RTL.fr après avoir visionné 13 novembre - Fluctuat Nec Mergitur, "en trois fois". "Ils ont fait du sensationnalisme, ce qui ne m’étonne pas", poursuit-elle, évoquant les "corps par terre en terrasses" et les "coups de feu au Bataclan, je sais que c’est à ce moment-là que mon frère est mort".

"Ils font de l’argent sur le dos de nos morts, ça serait différent si la totalité des fonds était reversée aux associations, aux blessés et aux orphelins", propose celle qui rappelle que certains blessés sont toujours à l’hôpital, deux ans et demi après.

Pas de message de prévention

Les témoignages sont très durs à entendre. Des descriptions de scènes d’horreur difficilement supportables qui mériteraient au moins un message de prévention pour les spectateurs sensibles, juge une spectatrice anonyme jointe par RTL.fr, même si "le documentaire est sobre et bien fait", selon elle.

Elle n’a réussi à regarder que la première partie pour le moment car elle n’avait "pas l’énergie de regarder plus", "je faisais déjà des pauses toutes les 5 minutes", raconte-t-elle. Plusieurs scènes lui ont "glacé le sang".

Et sur Twitter, ils sont nombreux de son avis : "Une des choses les plus tristes que j’ai pu regarder", "je dois faire une pause toutes les 10 minutes", "l’horreur de la réalité", "je suis complètement dévasté", "j’arrête pas de pleurer"... Beaucoup conseillent néanmoins de le visionner.


Source : RTL
Auteur : Cécile de Sèze
Date : 05/06/18

Nous soutenir

C’est grâce à votre soutien que nous pouvons vous accompagner dans l’ensemble de vos démarches, faire évoluer la prise en charge des victimes par une mobilisation collective, et poursuivre nos actions de défense des droits des victimes de catastrophes et d’attentats.

Soutenir la FENVAC

Ils financent notre action au service des victimes