Nairobi : "Little Mogadiscio" craint "d’être puni" pour le Westgate

Abduraham Issa Mohammed est installé dans un café d’Eastleigh, le quartier somalien de Nairobi dont la population n’apporte, assure-t-il, "pas une once de soutien" aux auteurs du carnage du Westgate. Mais ce réfugié craint néanmoins "d’être puni".

Les habitants de ce "Little Mogadiscio", où vivent des dizaines de milliers de Somaliens, crient haut et fort leur condamnation de l’attaque du centre commercial, revendiquée par les insurgés islamistes somaliens shebab.

Elle a coûté la vie à au moins 61 civils, six membres des forces de sécurité et cinq assaillans, et est la plus meurtrière au Kenya depuis l’attentat contre l’ambassade américaine de Nairobi en 1998.

Le drame a aussi ravivé les craintes de tensions ethniques et religieuses - entre chrétiens majoritaires au Kenya et musulmans.

Mais au café Ramdan, à l’angle d’une rue où les passants s’enfoncent dans la boue, les choses sont claires pour Abduraham Issa Mohammed : les shebab n’ont pas "la même religion que nous".

"On pleure les victimes de l’attaque", et "les personnes qui ont fait ça n’ont pas une once de soutien des gens d’Eastleigh", martèle-t-il.
"Ce qui nous fait peur, c’est d’être puni pour les actes" des shebab, eux "qui nous ont déplacés" hors de Somalie "et qui ont tué les membres de nos familles", poursuit ce père de six enfants.

Comme ailleurs au Kenya, les réfugiés somaliens de Nairobi fuient depuis deux décennies sécheresses et combats incessants dans leur pays. Depuis quelques années, les shebab, qui ont juré la perte des fragiles autorités somaliennes de Mogadiscio, alimentent l’instabilité dans le pays.

Comme les autres réfugiés du Kenya, M. Mohammed sait qu’à chaque attaque perpétrée au Kenya et imputée aux shebab - il y en a eu une série depuis que le Kenya intervient militairement en Somalie depuis fin 2011, même si sans commune mesure avec celle du Westgate -, la communauté somalienne est ensuite victime du harcèlement des forces de sécurité, et parfois de violences de la part de la population.

La crainte de la police

A ses côtés, Yusuf Abdullahi Ali, un importateur d’équipements électroniques trentenaire, en vibre d’indignation.
"Quand il y a une attaque, même si ses auteurs sont des Kényans d’ethnies autres que somali, nous subissons des représailles", s’énerve-t-il.

A Eastleigh, les rues fourmillent d’étals en tout genre. Les commerçants vendent des produits pour bébé, du sucre de canne. Des services spécifiquement dédiés à la communauté somalienne sont aussi proposés, comme l’envoi de paquets aux camps de réfugiés de Dadaab, qui abritent quelque 400.000 réfugiés somaliens dans le nord-est du Kenya.

Pour un peu plus prendre leurs distances avec les shebab, beaucoup d’habitants interrogés relèvent que les insurgés ont dans leurs rangs de nombreux combattants étrangers.

"Ils viennent du Canada, ou d’ailleurs. Ils tuent surtout des Somaliens", souligne Yusuf Abdullahi, en référence aux jihadistes étrangers recrutés par les shebab. Lui-même raconte avoir été arrêté arbitrairement par la police kényane en 2012, lors d’une descente opérée dans sa communauté.

Selon Ibrahim Hassan Jama, un vendeur de tissus originaire du port somalien de Kismayo, les Somaliens d’Eastleigh n’ont pas encore subi de conséquences de l’attaque du Westgate.

Il pense que le gouvernement kényan est "assez responsable pour ne pas (les) punir", mais il craint la police. Lui et les autres sont unanimes : elle est "toujours brutale".
Il reste néanmoins reconnaissant au Kenya d’avoir donné "l’hospitalité" aux réfugiés somaliens et permis à leurs enfants d’aller dans ses écoles. Et ajoute tristement : "ni le christianisme, ni l’islam n’autorisent ce genre de tueries".

De l’autre côté de la rue, sirotant un thé, Jamal Hussein Diriye était de passage à Nairobi après une visite à sa famille en Somalie quand le Westgate a été pris d’assaut. Lui aussi a fui son pays natal et vit désormais avec sa femme et ses enfants en Afrique du Sud.

Il redoute des complications sur le chemin du retour. A l’aéroport, "nous craignons toujours qu’ils nous disent que nous sommes des terroristes en fuite", confie-t-il, préférant rester un peu plus longtemps à Nairobi. Le temps que les esprits s’apaisent.

leparisien.fr - AFP - 26 septembre 2013


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