Latifa Ibn Ziaten, au nom du fils

La mère d’Imad Ibn Ziaten, la première victime de Mohamed Merah, prendra cet après-midi la parole à Paris à l’occasion de la Journée des victimes du terrorisme. Elle témoigne de son immense douleur.

De ce grand gaillard en uniforme souriant sur une photo, elle dit : « Il était mon fils, mon bébé et mon ami. »

Imad Ibn Ziaten, 30 ans, militaire de carrière, est la première des huit victimes de Mohamed Merah. Depuis sa mort, le 11 mars à Toulouse, Latifa Ibn Ziaten, sa mère, 52ans, cherche « un peu de lumière ». « Quelque chose qui soulage le coeur », souffle-t-elle.

Cet après-midi, comme deux autres parents endeuillés, elle prononcera un discours aux Invalides à Paris en cette journée d’hommage national aux victimes du terrorisme. « Ce droit de parole, je vous le dois », glisse-t-elle à Françoise Rudetzki, déléguée de Fenvac SOS catastrophes et terrorisme (Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs), l’association qui organise cette cérémonie.

Latifa sortira, pour quelques instants, de l’obscurité dans laquelle le drame l’a projetée.

Il y a six mois, elle était en voyage en Turquie avec son mari, retraité cheminot de la SNCF, Marocain d’origine comme elle. Elle était partie confiante, notamment parce qu’Imad, le second de ses cinq enfants, maréchaldes logis-chef du régiment parachutiste de Francazal (Haute-Garonne), « n’était pas en mission ».

Elle avait laissé la maison de Sotteville-lès-Rouen, où elle a élevé ses fils et sa fille et travaillé comme cuisinière dans une école pendant vingt et un ans.

Elle savait qu’Imad viendrait retrouver la famille, comme d’habitude, la quinzaine d’après.

« Il m’avait dit : Maman, s’il m’arrive un malheur, je compte sur toi, ne baisse pas les bras. Et moi je l’écoutais en pensant qu’aucune mère ne peut accepter d’enterrer son enfant. »

Et puis, en Turquie, le téléphone a sonné.

Il a fallu « prendre deux avions » pour rentrer en France.Rouler toute la nuit jusqu’à Toulouse.

Et parce qu’on ignorait alors tout du meurtrier d’Imad, subir l’interrogatoire des policiers. « J’ai répondu que je n’avais pas de criminel à la maison. J’ai dit : Mon fils, je l’ai élevé et je l’ai donné à l’armée. Et je suis sortie. » Latifa essuie ses larmes : « Avec le soutien du Maroc, la seule porte qui s’est ouverte pour nous, c’était la caserne. Le capitaine de mon fils pleurait. Ses officiers aussi étaient perdus. Ils m’ont emmenée où Imad est tombé. Je regardais sur le sol, pour voir s’il n’avait pas écrit quelque chose, s’il était mort sur le coup. »

Elle et les siens ont appris par la télévision que « la même arme » avait semé lamort à Montauban et à Toulouse. « S’ils avaient cherché plus tôt qui était intéressé par lamoto d’Imad (NDLR : Merah l’a piégé en se faisant passer pour un acheteur du deuxroues), il n’y aurait pas eu toute cette douleur. Ça fait six morts de trop. »

Latifa poursuit : « Le président Sarkozym’avait promis queMerah serait capturé vivant. Mais ils l’ont tué. 31 balles. Pourquoi ? Ils auraient dû demander à sa mère de lui parler, de le convaincre de sortir et d’être jugé. S’il avait été un vrai croyant, il l’aurait écoutée. »

Lors d’un de ses séjours à Toulouse, elle est partie, seule, jusqu’au quartier oùMerah a grandi. « Je voulais comprendre pourquoi il était tombé dans ce piège. » Au pied d’une tour, elle dit avoir « compris » en discutant avec un groupe de jeunes : « Merah, c’est un héros de l’islam, madame », s’échauffent-ils. « Quand ils ont su qui j’étais, ils sont devenus tout petits. « Excusez-nous m’dame, s’cusez… »

Le piège du radicalisme, Latifa, qui est musulmane pratiquante et porte le foulard, le définit par anecdotes : ce fils d’une voisine qui « porte la barbe et la djellabah » à sa sortie de prison « plutôt que d’aller travailler », ou ces garçons perdus qui voient en « Merah l’assassin un martyr ».

Elle s’insurge aussi contre ce directeur d’école qui sépare à la cantine les enfants qui ne mangent pas de porc des autres — « un tri comme dans l’Allemagne en guerre ! » s’emporte-telle.

Latifa, la petite marocaine arrivée en France à 17 ans après son mariage, Latifa qui a éduqué ses garçons à savoir cuisiner autant que sa fille, Latifa la républicaine s’emporte : « L’islam, c’est la paix, la générosité. Tuer, faire souffrir… Dieu n’a jamais dit ça. Rien ne différencie les musulmans des chrétiens et des juifs. L’égalité, la seule, c’est la mort. Nous irons tous dans le même trou. »

« Ne baisse pas les bras », lui avait dit Imad.Au 40e jour du deuil de son fils, Latifa a lancé l’association Imad Ibn Ziaten pour la jeunesse et la paix. Elle entend se rendre en prison, dans les écoles, les quartiers déshérités. « J’irai jusqu’au bout du monde pour qu’il n’existe pas d’autre Merah. Pour qu’aucune mère, aucun père, ne souffre comme je souffre. »

Elle retournera aussi à Toulouse, dans le quartier de « l’assassin ». De lui, elle parle aussi avec ces mots-là : « Le foyer, le père en Algérie, la mère toute seule, les bagarres, la délinquance… Il a eu un parcours très grave pour un enfant de 23 ans. Peut-être, si on l’avait aidé…Peut-être qu’il n’y aurait pas tout ce chagrin. »

PASCALE ÉGRÉ, Le Parisien - 19 septembre 2012


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