L’impossible deuil de l’accident de Beaune, 30 ans après

Ce 31 juillet, 53 ballons seront lâchés à Crépy-en-Valois (Oise), comme autant de victimes de l’accident de Beaune, il y a tout juste trente ans. Chaque année, les familles endeuillées et les élus de cette ville de 15 000 habitants à 65 kilomètres au nord de Paris se rendent à Beaune (Côte-d’Or) pour se recueillir sur le lieu du drame. A l’occasion des trente ans de la disparition des enfants, une messe a été organisée exceptionnellement.

44 PETITS CERCUEILS ALIGNÉS À L’ÉGLISE

Le 31 juillet 1982, un accident sur l’autoroute A6 faisait 53 victimes. Parmi elles, 44 enfants de la région parisienne qui partaient en colonie. A 20 heures, les deux cars avaient pris la route depuis Crépy-en-Valois vers leur lieu de vacances, à Aussois, en Savoie. Il y avait beaucoup de monde sur la route et il pleuvait. Près de Beaune, un rétrécissement de chaussée provoque un ralentissement. Une collision se produit entre plusieurs voitures et les deux cars. Le réservoir d’un véhicule se perce, de l’essence se répand et s’enflamme. Quatorze enfants et l’un de leurs accompagnateurs parviennent à s’extirper du brasier.

Ginette Berhamel, adjointe au maire de Crépy-en-Valois en charge des affaires sociales en 1982, confie passer encore des nuits blanches. A l’approche de la date anniversaire de l’accident, bien sûr, mais aussi à la rentrée scolaire ou à Noël. Car les enfants qui ont péri, elle les connaissait tous, elle dirigeait le centre aéré que beaucoup ont fréquenté en juillet, jusqu’au départ. C’est elle que la sous-préfecture a appelée pour la prévenir. Puis il a fallu se rendre sur place avec l’espoir, déçu, de pouvoir identifier les victimes, "mais il n’y avait rien à reconnaître". A l’époque, l’identification grâce à l’ADN n’existait pas. Puis il y a eu les funérailles et le souvenir de ces 44 petits cercueils alignés à l’église.

"ON VIT LE DRAME EN PERMANENCE"

Marie-Andrée Martin a d’abord cru à une erreur. Elle s’est longtemps dit que ses trois enfants allaient revenir. Sylvie, l’aînée, a survécu. Trente ans après, cette petite femme vêtue de noir n’a pas fait le deuil de Bruno, Frédéric et Florence. A l’époque, aucune aide psychologique n’était mise à la disposition des familles. Pour Mme Martin, un hommage est nécessaire. "Je n’appréhende pas le 31 juillet, on vit le drame en permanence. Je ressens moins de douleur et de colère, le temps les atténue mais ne les efface pas."

A Crépy-en-Valois, il est hors de question, même trente ans après l’accident, de ne pas le commémorer. Le maire de la ville, Arnaud Foubert, reconnaît que "c’est une question que l’on peut se poser. Celle de l’oubli ou du souvenir. Mais nous continuons, c’est un événement tellement fort pour la ville. Cet accident routier a été le plus meurtrier de France et il est encore présent dans les esprits." Il considère que cette cérémonie annuelle relève du "devoir de mémoire" : "44 enfants ont péri, c’est un traumatisme fort, même si avec le temps il s’amenuise."

Le Dr Christian Navarre, psychiatre et auteur de "Psy des catastrophes" (éditions Imago), estime que si l’accident est si présent dans les esprits c’est parce qu’il rassemble tous les critères d’un psycho-traumatisme majeur : "Il y a une injustice dans le fait que ces jeunes soient morts. Pour les parents, la mort violente de leurs enfants rend le deuil impossible. Dans l’imaginaire collectif, l’accident de Beaune est un accident fondateur, comme Tchernobyl l’est pour le nucléaire. C’est le plus meurtrier que la France a connu, le souvenir a un rôle de prévention."

Marie-Andrée Martin croit aussi aux vertus préventives d’une telle commémoration. Pour dépasser son sentiment d’injustice, la mère de famille a créé avec d’autres parents l’Association des victimes de Beaune. "Un moyen de se soutenir", mais aussi de s’engager dans la prévention routière. A l’époque, les familles sont même devenues des interlocutrices du ministre des Transports Charles Fiterman, qui avait lancé une commission d’enquête. Le rapport officiel a conduit le ministre à réviser la législation en matière de transports collectifs.

UN CHOC NATIONAL

Les chauffeurs sont mieux formés. Les départs de cars transportant des enfants sont interdits les jours classés noirs, le port de la ceinture est obligatoire dans les cars, dorénavant mieux contrôlés, et ils sont construits avec des matériaux non inflammables.

Après le procès en 1984 et malgré les réunions interministérielles auxquelles elle participe, Mme Martin ressent "un vide". Au deuil impossible s’ajoute la nécessité de protéger ses cinq filles, deux étaient petites lors de l’accident et deux autres sont nées quelques années après. Et il y a Sylvie, la rescapée. Elle a toujours veillé à ne pas leur faire porter le poids de sa souffrance. Ses filles n’ont jamais osé poser de questions sur leurs frères et leur soeur disparus. Peu à peu, quelques évocations ont été possibles. Internet a été un moyen pour les enfants de s’informer sans craindre de blesser leurs parents. Blogs et pages Facebook retracent les faits et rendent hommage aux victimes de l’accident, vécu comme un choc national.

Faïza Zerouala - Le Monde.fr - 31 juillet 2012


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