Kenya : la "veuve blanche" qui hante Nairobi

Elle est nord-irlandaise et a 28 ans. Derrière ses yeux bleus perçants et son rouge à lèvres éclatant se cache l’une des principales suspectes de l’attaque du centre commercial de Westgate, à Nairobi, qui a fait au moins 62 morts et près de 200 blessés. "Sherafiyah Lewthwaite aka samantha est une femme courageuse ! Nous sommes heureux de l’avoir dans nos rangs", a annoncé sur Twitter l’organisation islamiste somalienne al-Shebab qui a revendiqué l’assaut, avant que son compte ne soit supprimé par le réseau social.

Comment cette jeune femme, fille de soldat britannique, a-t-elle pu ainsi sombrer dans le terrorisme ? Rien ne la prédestinait à un tel destin. Née en 1983 en Irlande du Nord, la petite Samantha Lewthwaite vit une enfance des plus paisibles à Aylesbury, ville du sud-est de l’Angleterre, en compagnie de sa mère Christine et de son père Andrew. Mais leur divorce en 1995 bouleverse la jeune fille. Elle trouve refuge chez ses voisins, séduite par la chaleur de leur famille. À leurs côtés, la jeune enfant se familiarise avec la religion musulmane.

"Une enfant remplie de joie"

"C’était une enfant remplie de joie, une très bonne personne [...] respectée par la communauté pakistanaise et musulmane", se souvient Raj Khan, un conseiller municipal qui l’a bien connue, interrogé par la BBC. À 15 ans, Samantha se convertit à l’islam : elle décide de porter le foulard, puis le voile intégral, qui ne laisse transparaître que ses mains et son visage. "Elle paraissait très fière de porter le foulard, et cela créait beaucoup d’effervescence autour d’elle", affirme à la BBC Novid Shaid, enseignant à Aylesbury. À 18 ans, la jeune femme s’inscrit à l’École des études orientales et africaines de Londres pour y suivre des cours de politique et de religion.

Adepte des forums musulmans, elle effectue en 2002 une rencontre qui va changer sa vie. Sur Internet, elle fait la connaissance virtuelle de Jermaine Lindsay, un menuisier anglais d’origine jamaïcaine. Les deux jeunes adultes se voient pour la première fois lors d’une manifestation contre la guerre en Irak (qui aura tout de même lieu en 2003). Le coup de foudre est immédiat. Sans plus attendre, le jeune couple se marie, à l’issue d’une cérémonie religieuse organisée dans le séjour d’un pavillon d’Aylesbury, face à la famille pakistanaise qui l’a tant chérie.

Attentats de Londres

Enceinte de son premier enfant, un fils, Samantha Lewthwaite fréquente assidûment la mosquée du Regent’s Park à Londres, ainsi que la grande mosquée de Leeds. C’est à cette époque, en 2004, qu’elle rencontre Mohammad Sidique Khan, un Britannique d’origine pakistanaise. L’homme est considéré comme le cerveau des attentats de Londres du 7 juillet 2005, qui ont fait 56 morts. Un an plus tard, son mari Jermaine Lindsay se fait exploser dans un métro de la ligne Piccadilly, en plein centre de Londres. L’attaque sanglante, la pire de l’histoire de l’Angleterre, fera 27 morts, dont le kamikaze de 19 ans.

Celui-ci laisse une veuve, enceinte de son deuxième enfant. Sa fille voit le jour deux mois plus tard, en septembre 2005. Placée sous protection policière après avoir "collaboré" avec Scotland Yard, Samantha Lewthwaite parvient pourtant à échapper à sa vigilance. La jeune femme disparaît littéralement de la carte... avant de refaire surface en août 2011 au Kenya. Elle s’appelle désormais Nathalie Faye Webb, une citoyenne sud-africaine, mariée à Habib Ghani, un djihadiste originaire de la banlieue de Londres surnommé "Osama".

Islamistes somaliens

Le Britannique est suspecté par Scotland Yard d’appartenir au groupe islamiste somalien al-Shebab, lié à al-Qaida. Dans des notes retrouvées par la police kényane dans leur maison de Mombasa, Samantha Lewthwaite explique vouloir un homme "qui donnera tout ce qu’il peut à Allah et s’emploiera à terroriser les mécréants". "Allah m’a donné cela et même mieux", écrit-elle, selon le Daily Mail. Son second mari lui donnera une fille en 2009. Et lorsque celui-ci demande aux deux aînés, désormais âgés de huit et de cinq ans, ce qu’ils veulent faire de leur vie, les enfants répondent, sans la moindre hésitation, "Mujahid" (soldat de Dieu). La maman est ravie.

En 2011, le couple est rejoint par un troisième Britannique, Jermaine Grant, un Londonien de 30 ans, qui s’est radicalisé à la prison de Feltham, celle-là même qui a accueilli Richard Reid, l’homme qui avait tenté de faire exploser un vol Paris-Miami en décembre 2001. Les trois complices préparent une attaque de grande ampleur contre des cibles occidentales dans la ville côtière de Mombasa durant les fêtes de fin d’année. Mais ils n’auront pas le temps de s’exécuter. Informée de l’imminence d’une attaque, la police prend d’assaut la cache des terroristes en décembre 2011.

"Le paradis de demain"

Sur place, ils découvrent un impressionnant arsenal d’explosifs. Jermaine Grant est arrêté sur-le-champ. Pas de trace, en revanche, de Habib Ghani, ni de Samantha Lewthwaite. Confondue grâce à ses empreintes, celle que l’on surnomme désormais la "veuve blanche", en référence aux "veuves noires", ces femmes kamikazes tchétchènes venues venger en Russie la mort de leur mari, est accusée d’activités terroristes visant à faire sauter des centres commerciaux et hôtels accueillant des touristes étrangers au Kenya.

Mais la Britannique se volatilise à nouveau, avant de refaire surface, en septembre 2012, sur Internet. Dans un poème intitulé "le paradis de demain" et publié sur Twitter, Samantha Lewthwaite dit en avoir assez de sa vie de fugitive. Rendant hommage à Aboud Rogo Mohammed, l’ancien leader des shebabs somaliens, abattu une semaine plus tôt, la soldate de Dieu explique qu’elle veut le rejoindre au paradis. "J’observe autour de moi comme le djihad est merveilleux, il vit au Kenya, il vit en moi, je respire le djihad, mon heure est arrivée."

Si la participation de la "veuve blanche" à l’attaque shebab de Nairobi n’a, pour l’heure, pas été confirmée, la chef de la diplomatie kényane a annoncé lundi soir qu’une femme britannique faisait bien partie du commando islamiste, en compagnie de deux ou trois Américains.

lepoint.fr avec ARMIN AREFI - 24 septembre 2013


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