INTERVIEW - Nicolaz Fourreau, président de l’association 9-8-7




Un procès ne devrait vraisemblablement pas avoir lieu avant 2011 ?
Ce sera difficile pour qu’il se tienne cette année. Le planning était déjà tendu s’il n’y avait pas eu de demandes de contre-expertise. La première d’entre elles, c’était pour savoir si le câble avait été rompu au moment où l’on a remonté l’épave. Ça n’a pas été retenu. Maintenant, les mis en examen disent “Il n’a pas été rompu quand on a remonté l’épave, mais peut-être lorsque l’avion a tapé l’eau”. Donc ils jouent sur les causes de l’accident, mais elles restent assez accessoires car, finalement, les défauts de maintenance, le problème de gestion de l’entreprise, ils existent. Ils ont été retenus et validés. Dans l’arrêt de la chambre de l’instruction, les juges acceptent qu’il y ait une contre-expertise, mais ils précisent que ça n’efface pas tous les problèmes de maintenance et de gestion.

A-t-on, aujourd’hui, la certitude que l’accident est lié à la rupture du câble de gouverne ?

Tous les experts le disent. La compagnie dit : “Ce n’est pas ça. On n’a toujours pas la raison qui aurait causé la chute de l’appareil”. Ils ont invoqué une erreur de pilotage, des problèmes de santé du pilote, mais le médecin légiste a bien insisté sur le fait qu’il était en vie jusqu’au choc de l’appareil dans l’eau. Il n’avait donc aucun problème cardiaque. Quand on écoute la bande son, sur les 11 dernières secondes de vol, on se rend bien compte que le pilote était étonné par le changement d’assiette de l’appareil, et qu’il a entrepris des actions sur les volets et les moteurs. Il faut admettre que les mis en examen aient le droit à une défense. Après, que ce soit avec de la bonne ou de la mauvaise foi, c’est autre chose.

Comment les familles ont vécu ces trois années ?

Il faut d’abord vivre la transformation de sa vie. On retient souvent le terme “reconstruire sa vie”, mais quand on le vit, ce n’est pas ça. Il s’agit plutôt de construire une vie traumatisée. Il y a aussi régulièrement des choses qui sont prises comme une agression, notamment lorsqu’il y a des demandes de contre-expertises de la compagnie. (…) Cela revient tout le temps dans les medias. Donc c’est très lourd à porter, même s’il faut qu’on en parle pour que les victimes ne soient pas mortes pour rien. En plus, depuis quelques semaines, il y a le fait qu’Air Moorea puisse disparaître, et que, par simplification de raisonnement, les dirigeants disent que c’est à cause de l’accident. Ce n’est pas ça. Les erreurs de management et de maintenance ont provoqué un accident, et les gens ont quitté la compagnie car ils n’ont pas confiance en elle, tout simplement. Aujourd’hui, les familles restent très proches. Mais c’est toujours douloureux. Au bout de trois ans, on entend les gens dire : “C’est bon. Ils nous saoulent avec cet accident”. Pour bon nombre des gens qui se battent aujourd’hui, ce n’est pas exclusivement pour obtenir une réparation, mais aussi pour éviter que cela ne se reproduise. Maintenant, il faut se construire comme on peut, tel qu’on est, traumatisé. Avec l’absence d’un frère, d’une soeur, d’un père ou d’une mère. Les dates anniversaires sont vécues difficilement. Tant qu’il n’y aura pas eu, à la fois d’un point de vue civil et pénal, des coupables et des réparations, même si on ne peut pas réparer ce qui a été fait, on sera toujours dans une situation instable.

Cette année, vous avez souhaité que la commémoration de l’accident soit plus intime. Pour quelles raisons ?

Les familles essayent, aujourd’hui, de plus se protéger. Certaines vont quitter Tahiti, même si elles résidaient ici depuis 35 ans. C’était trop dur à vivre. D’autres ne veulent plus voyager ou aller à Moorea. Les choses sont vécues différemment, selon les gens. La famille de Guillaume, par exemple, qui vivait tout seul à Tahiti, ne peut pas se recueillir sur une tombe. Ils sont loin de Tahiti, et c’est extrêmement difficile. C’est aussi le cas pour les familles des cinq personnes disparues.

Source : La dépêche de Tahiti, le 10 août 2010.


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