Lama, fille d’une victime du terrorisme : « Ça suffit. Le Liban est saturé de douleurs ! »

« Les victimes du terrorisme en quête de justice », un séminaire organisé à Beyrouth par le TSL.

" Nous avons eu de la chance relativement, parce qu’il s’est trouvé quelqu’un qui a parlé en notre nom pour défendre nos droits en tant que victimes. "

La chance, pour Ihsan Nasser, la jeune épouse de Talal, l’une des nombreuses victimes de l’attentat terroriste du 14 février 2005, c’est tout simplement le fait d’avoir eu un accès à la justice, par le biais de la création du Tribunal spécial pour le Liban.
Venue témoigner aux côtés de trois autres victimes d’attentats terroristes divers, Ihsan raconte pour la première fois sa douleur, dans le cadre d’un séminaire organisé hier par le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) intitulé « Les victimes du terrorisme en quête de justice », organisé à la Maison de l’avocat.

Éplorée, portant les cicatrices d’une souffrance interminable jusqu’à ce jour, soit neuf ans après l’assassinat qui a visé l’ancien Premier ministre Rafic Hariri et plusieurs autres Libanais, la jeune femme transcende sa souffrance pour se pencher sur celle des autres, de « toutes les victimes qui n’ont personne pour parler en leur nom et défendre leur cause », dit-elle, avec une voix cassée, les yeux inondés de larmes.

Ce message de solidarité dans la douleur avec d’autres victimes libanaises, voire même par delà les frontières du pays du Cèdre, sera repris dans un plaidoyer encore plus poignant par la jeune Lama, la fille de Ghazi Bou Karroum, tué dans l’attentat précédant celui de Hariri, qui a visé Marwan Hamadé, alors qu’il accomplissait sa mission de protection de l’ancien ministre. « J’espère que je pourrai faire parvenir ce message à tous ceux qui n’ont personne pour défendre leur cause. » « Ça suffit. Le Liban est saturé de douleurs », crie-t-elle en sanglots, avant de répondre à ceux qui lui reprochent de n’avoir pas achevé son deuil, après tout ce temps : « Le supplice augmente chaque jour qui passe. Les gens ne réalisent pas l’horreur de se voir remettre la moitié du corps d’un père, d’un mari et d’un frère. » Et d’ajouter, sur le même ton de révolte étouffée : « Les gens voient la mort de l’extérieur, à distance, constatent avec stupeur qu’une explosion a eu lieu, et puis l’incident est terminé pour eux. Ils retournent à leur vie normale. » « Moi, j’ai perdu mon père dans le cadre d’un crime relié à des enjeux politiques qui ne le concernent pas », déplore la jeune femme.

Ihsan la rejoint dans son interjection en déplorant le fait qu’« aucun représentant de l’État n’est jamais venu s’enquérir de notre malheur. Rien. Même pas un simple support psychologique », se plaint la jeune femme.
« Bien au contraire, toutes les fois que nous réclamions la création d’un tribunal (international) on nous conseillait de ne pas chercher à semer le chaos dans le pays, arguant du fait qu’aucun crime politique n’a jamais été élucidé à ce jour. » Et de conclure : « Avec la création du TSL et le début du procès, mes deux filles (qui avaient 4 et 7 ans à l’époque) ont repris un peu d’espoir. »

Intimidé par la profonde blessure qui a marqué à vie les deux jeunes femmes et leurs familles respectives, Yasser Jalloul, l’un des survivants de la double explosion qui a visé les mosquées à Tripoli, s’excuse en public en estimant que ses blessures à lui – qui a perdu la vue à 90 % – ne sont pas comparables à celles de ses camarades d’infortune, assis à côté de lui. « Leur souffrance est certainement plus grande. Tout ce que nous demandons c’est d’obtenir nos droits de victimes et que la lumière soit faite sur les auteurs de l’agression que nous avons subie », dit-il avec une dignité désarmante.

La longue lutte de Françoise Rudetzki
Déléguée au terrorisme de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs-France, Françoise Rudetzki, juriste diplômée des grandes universités parisiennes, avait été grièvement blessée le 23 décembre 1983, lors d’un attentat devant le restaurant Le Grand Véfour, à Paris, où elle dînait avec son mari pour fêter leurs dix ans de mariage. Elle raconte son parcours de combattante pour la reconnaissance des droits des victimes.
Handicapée à vie, blessée une seconde fois par les séquelles de l’explosion terroriste qui ont marqué son mari – « décédé il y a 18 ans des suites de ses blessures invisibles » –, elle explique comment « la culpabilité qu’il a longtemps portée pour avoir choisi ce restaurant a fini par le ronger ». Le visage et la voix amoindris par l’épreuve douloureuse, le corps portant péniblement les violentes signatures de l’attentat terroriste, Françoise, 66 ans à peine, n’a vraisemblablement pas permis aux marchands de la mort d’entamer ne serait-ce qu’un centième de sa détermination.
Elle raconte ainsi comment elle a porté, trois décennies durant, le flambeau d’une lutte tenace pour arracher une reconnaissance politique et juridique pour les victimes du terrorisme, dans son pays notamment. Une tâche rendue difficile par l’absence de définition du concept de terrorisme encore en gestation à l’époque, précise-t-elle.
De révolte en révolte, elle finit par gagner les politiques et les juristes à sa cause et par faire ériger un mémorial pour toutes les victimes, dans le jardin des Invalides à Paris.

« Pour lutter contre le terrorisme, il faut avoir les armes de la démocratie, comme celle qui existe en France, mais aussi au Liban. Il s’agit de combattre aussi l’impunité ainsi que les immunités », conclut Rudetzki. Elle faisait allusion à la « raison d’État ainsi qu’à certaines considérations politiques contre lesquelles se heurtent certaines procédures judiciaires. Une leçon apprise suite à la campagne qu’elle a menée dans le cadre de l’affaire du DC-10 d’UTA qui a explosé au-dessus du Tchad en 1986. La Libye avait alors été pointée du doigt au lendemain de cette opération terroriste ». Ses relations avec la France, « normalisées en dépit des 170 morts », n’avait pourtant pas été entachées, dénonçait-elle à l’époque.
« On ne peut pas oublier. On peut juste apprendre à vivre avec, à se construire une vie après un acte terroriste », conclut la juriste s’adressant aux victimes libanaises présentes, avant de leur lancer : « Il ne faut pas lâcher. Il faut que nous puissions faire évoluer ce droit et cette justice. »

Reuters, 28.03.2014, Jeanine Jalkh pour l’Orient Le Jour


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