Incendie du Cuba Libre à Rouen : toujours des questions en suspens sur le volet judiciaire

Un an après l’incendie mortel du Cuba Libre à Rouen (Seine-Maritime), l’instruction judiciaire est toujours en cours alors que les proches de victimes s’interrogent encore.

Le temps judiciaire est souvent long, trop long dit-on souvent. Un an après le drame du Cuba Libre à Rouen (Seine-Maritime), l’instruction judiciaire pour déterminer qui sont les responsables de l’incendie est toujours en cours. En attendant, les avocats des familles des 14 victimes s’interrogent.

« L’instruction n’a pas vraiment traîné »

Deux personnes, le gérant du bar et son frère, propriétaire de l’établissement, sont pour l’heure mises en examen pour « homicides et blessures involontaires par violation délibérée d’une obligation de sécurité ». Matériau inflammable, issue de secours fermée, escalier non conforme… L’expertise mandatée par le juge a en effet pointé des manquements graves aux obligations de sécurité dans le sous-sol du Cuba Libre.
Interrogé par Normandie-actu, Me Dominique Lemiegre, avocat de la famille d’une des victimes tuées dans l’incendie, estime qu’ « on ne peut pas dire que l’instruction a traîné ». Néanmoins, ses clients et les autres proches trouvent le temps long :
Les familles ont besoin d’entendre qu’il y a des coupables, c’est normal, souligne Me Lemiegre.

De son côté, Me Gérard Chemla, qui assiste une autre famille de victime, note que « depuis le mois de février, il ne s’est pas passé grand chose ». Pour lui, « l’effort s’est relâché » et il aurait « apprécié que le juge avance sans marquer le pas ».
Dans le but de faire le point, Me Chemla entend demander une nouvelle réunion avec les magistrats « en tout début d’année scolaire ».

La mairie de Rouen responsable ?

L’objectif de cette réunion serait de répondre aux questions qui restent en suspens. « Est-ce qu’on s’arrête aux responsabilités évidentes, à savoir celles des exploitants du Cuba Libre ? Ou bien est-ce qu’on essaie d’aller plus loin dans l’instruction et voir s’il n’y a pas d’autres responsables ? », s’interroge Me Chemla.
Lui et son confrère Me Lemiegre s’accordent pour s’interroger sur la question d’une possible responsabilité de la municipalité de Rouen dans ce drame. « Je pense qu’on ne peut pas exclure une responsabilité administrative, par négligence ou inadvertance, de la part de la mairie », estime Me Lemiegre qui pointe :

" De nombreux établissements ont été contrôlés après le drame, c’est bien la preuve qu’on peut légalement en effectuer ".

Même son de cloche chez Me Chemla : « Pour moi, le fait que le Cuba Libre n’ait jamais été contrôlé – alors qu’on a vu après le drame qu’on pouvait contrôler 24 bars – est un facteur causal indirect de ce drame. »

Le maire réfute

Mais Yvon Robert, maire PS de Rouen, n’entend pas laisser dire que la Ville a une quelconque responsabilité dans la tragédie du 6 août 2016. Il balaye d’abord d’éventuelles poursuites : « je n’ai aucune crainte sur des suites juridiques. »
Il répond ensuite sur la question de l’absence de contrôle au Cuba Libre :
La loi est très claire. Il y a cinq catégories d’établissements recevant public (ERP), la cinquième, dont faisait partie le Cuba Libre, n’est pas soumise à des contrôles obligatoires. Ce sont aux exploitants d’en assurer la sécurité.

L’édile explique ensuite le cas précis du Cuba Libre. « Il n’y a jamais eu de signalement concernant la sécurité de ce bar, il n’y avait donc pas lieu d’y faire un contrôle. » Yvon Robert précise que le Cuba Libre avait néanmoins fait l’objet « comme beaucoup de bars », de signalements liés au bruit à l’extérieur de l’établissement et ajoute :

" On ne va pas faire un contrôle uniquement pour un problème de bruit ".

Enfin, soulignant les mauvais résultats des 24 contrôles effectués dans des établissements de Rouen après le drame, le maire achève de rejeter la responsabilité du drame :
Il y a des gens qui se sont improvisés gérants de bars. Ils auraient dû se renseigner sur la qualité des installations et les normes en vigueur.

Pour l’heure, et à notre connaissance, la responsabilité pénale de la mairie n’a en tout cas pas été engagée au cours de l’instruction.

Quelle responsabilité pour le vendeur de la mousse acoustique  ?

Me Gérard Chemla aimerait également que l’instruction apporte des précisions sur un autre point, concernant un matériau utilisé dans le sous-sol du bar.
Pour rappel, comme évoqué plus haut, le Cuba Libre avait fait l’objet de signalements pour des problèmes de tapage nocturne. Aussi, ce serait afin de limiter les nuisances sonores que les exploitants ont décidé d’ouvrir la cave. Il a donc fallu effectuer des travaux d’aménagement, notamment d’isolation acoustique, via une mousse posée au plafond. C’est cette mousse qui s’est embrasée le soir de l’incendie, au contact d’une bougie de Bengale. Me Chemla s’interroge donc :

Comment une grande surface peut-elle vendre à n’importe qui une mousse qui ne supporte pas l’exposition à une flamme ? Je pense qu’avec ça, on expose tout le monde à un vrai danger.

Pour l’avocat, « peut-être qu’il y a un problème de législation mais il serait étonnant qu’il n’y ait pas de réglementation autour ce type de matériau ». Une nouvelle question que le juge aura peut-être à cœur d’éclaircir.

À quand le procès  ?

En attendant, la question que les proches des victimes et leurs avocats se posent est « à quand le procès ? ». Me Chemla et Me Lemiegre s’entendent sur le fait qu’il n’aura probablement pas lieu avant 2018. Les deux frères qui géraient le bar encourent jusqu’à cinq ans de prison.

Contacté par Normandie-actu, le procureur de la République n’a pas souhaité communiquer davantage sur ce dossier. De même Me Akli Ait Taleb, avocat du gérant du Cuba Libre, n’a pas souhaité répondre à nos questions. Me Eric Dupond-Moretti, qui représente le propriétaire du bar, n’a pour l’heure pas donné suite à nos sollicitations.
Dimanche 6 août 2017, un rassemblement est organisé devant le bar pour commémorer le premier anniversaire de la tragédie.

Date : 05/08/2017
Source : Actu.fr
Auteur : Julien Bouteiller

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