Essai Biotrial : le profil du médicament aurait dû inquiéter

Une trentaine d’experts internationaux ont décortiqué la molécule responsable du drame.

Des biochimistes spécialistes du médicament ont dressé le profil de sécurité de la molécule BIA 10-2434, mise en cause dans l’essai clinique mortel de Rennes en janvier 2016. Et les résultats montrent sans l’ombre d’un doute qu’il est temps de revoir la façon dont les essais cliniques sont conçus en Europe et ailleurs. C’est la conclusion qui s’impose à la lecture de l’article signé par une trentaine d’experts néerlandais, américains et italiens publié ce jeudi dans la revue internationaleScience.

La molécule administrée à fortes doses répétées à des volontaires sains avait entraîné un décès et provoqué des séquelles cérébrales chez plusieurs d’entre eux. Au dépit de la communauté scientifique internationale, le Comité temporaire d’experts français, mis en place par l’Agence du médicament, n’avait rendu que des conclusions spéculatives en avril 2016. Sans préciser si l’on aurait pu éviter le drame. Les expériences menées sur la molécule, notamment à L’Institut de chimie de l’université de Leiden, inclinent à le penser.

Car le profil de la molécule est très inquiétant. Suffisamment en tout cas pour que l’on prenne des précautions qui auraient sans doute évité la catastrophe. D’abord, « la molécule avait montré une toxicité incontestable dans les essais précliniques », explique au Figaro le Pr Alain Privat, neurobiologiste, membre de l’Académie de médecine qui a suivi le dossier depuis janvier 2016. En outre, « il s’agit bien d’une molécule bricolée dont on n’était absolument pas certain de la spécificité. » En clair, la molécule avait été conçue pour bloquer l’action d’une enzyme particulière au niveau du cerveau, mais rien ne permettait de penser qu’elle n’agirait que sur cette cible.

D’autant que l’inhibiteur enzymatique BIA 10-2434 devenait complètement imprévisible à partir d’une certaine dose. D’abord parce que contrairement à ce qu’avait affirmé son fabricant, le laboratoire Bial, son action n’était pas réversible. Or, « habituellement, les inhibiteurs irréversibles deviennent de plus en plus puissants au fur et à mesure des prises », explique le Pr Mario van der Stelt, qui a coordonné le travail publié dans Science.

Deuxième alarme : en étudiant la molécule avec des méthodes de protéomique chimique (étude de l’ensemble des protéines d’un système), on détecte des dégâts collatéraux considérables. « L’étude montre que la molécule atteint des cibles en dehors de l’enzyme (off-targets), notamment les lipases qui sont extrêmement toxiques pour le système nerveux central car elles peuvent détruire les membranes des neurones et même la myéline (gaine protectrice des neurones, NDLR) », explique le Pr Privat. Selon lui, « la technique utilisée par les auteurs de l’article devrait l’être pour toutes les nouvelles molécules mises en essai clinique, en particulier celles visant le système nerveux central ». C’est aussi l’avis du Pr Adam Cohen, directeur du Centre for Human Drug Research de Leiden, qui n’a pas participé à l’étude : « Cela pourrait être une nouvelle méthode pour s’assurer qu’une molécule en développement est sans danger. »

Le Pr van der Stelt refuse de spéculer : « Je pense que les cibles collatérales auraient pu être identifiées à la phase préclinique. Mais il est impossible d’affirmer que cette tragédie aurait pu être évitée. »

Source : Le Figaro
Auteurs : Damien Mascret, Anne Jouan
Date : 8 juin 2017

Crédit photos : Source : Le Figaro Auteurs : Damien Mascret, Anne Jouan Date : 8 juin 2017

Nous soutenir

C’est grâce à votre soutien que nous pouvons vous accompagner dans l’ensemble de vos démarches, faire évoluer la prise en charge des victimes par une mobilisation collective, et poursuivre nos actions de défense des droits des victimes de catastrophes et d’attentats.

Soutenir la FENVAC

Ils financent notre action au service des victimes