En Egypte, une menace terroriste aux multiples visages

Deux ans après la destitution du président Mohammed Morsi par l’armée, le 3 juillet 2013, qui a vu l’apparition d’un vaste mouvement de contestation islamiste contre le nouveau pouvoir et la résurgence d’une insurrection armée dans la péninsule du Sinaï, l’Egypte n’est pas parvenue à juguler la menace terroriste. La politique sécuritaire adoptée par le président Abdel Fattah Al-Sissi, mêlant répression tous azimuts des sympathisants islamistes et amplification des opérations militaires dans le Sinaï, est mise à rude épreuve.

Des attaques de faible ampleur, quasi quotidiennes, à celles plus spectaculaires contre le procureur général ou les forces de sécurité dans le Sinaï, se dessine une menace protéiforme, à laquelle le pouvoir entend répondre par un nouveau durcissement sécuritaire.

L’Etat face aux Frères musulmans

La confrérie des Frères musulmans, un mouvement islamiste crée en 1928 par l’Egyptien Hassan Al-Banna et parvenu pour la première fois au pouvoir sous la présidence de Mohammed Morsi (2012-2013), a été désignée comme la mère de tous les maux par le nouveau pouvoir. Les responsables de la confrérie ont eu beau clamer leur attachement à une contestation pacifique lors de sit-in qui ont réuni des dizaines de milliers de sympathisants au Caire pendant l’été 2013, la série d’attaques meurtrières contre les forces de sécurité et la minorité copte, qui a suivi la destitution du président Morsi, a convaincu les autorités d’un double jeu de l’organisation.

Les autorités égyptiennes assurent que les Frères musulmans, et leur branche palestinienne du Hamas, tirent les fils de l’insurrection armée qui embrase la péninsule du Sinaï jusqu’à la capitale. Les djihadistes de l’Etat islamique (EI), dans le Sinaï comme dans la bande de Gaza, ne cachent pourtant pas leurs divergences idéologiques et stratégiques avec les « hérétiques » fréristes. Jouant l’amalgame, les autorités égyptiennes ont déclaré, en décembre 2013, la confrérie « organisation terroriste ». Plus de 1 400 partisans de Morsi ont été tués dans la répression des manifestations. La majorité des responsables de la confrérie ont été arrêtés et condamnés à mort lors de procès jugés inéquitables par les organisations de défense des droits de l’homme. Selon Amnesty International, en deux ans, plus de 41 000 opposants, en majorité islamistes, ont été arrêtés, placés en détention et condamnés lors de procès de masse expéditifs, à la peine de mort pour plusieurs centaines d’entre eux.

La direction de la confrérie, entrée en clandestinité ou poussée à l’exil par l’ampleur de la répression, s’est systématiquement désolidarisée des actes terroristes. Elle a maintenu sa ligne contestataire pacifique, misant sur le ralliement de la population face à l’amplification de la répression contre l’opposition, qu’elle soit islamiste ou révolutionnaire laïque. La confrérie a durci le ton, mercredi 1er juillet, après la mort d’un de ses hauts responsables, Nasser Al-Houfi, et de huit de ses membres dans un raid policier dans la cité du 6-Octobre, près du Caire. Dénonçant un « meurtre de sang-froid », les Frères musulmans ont appelé à la « rébellion pour défendre le pays » et « détruire les citadelles de l’oppression et de la tyrannie ».

La radicalisation de nouveaux groupuscules

Malgré la restructuration d’une organisation clandestine en Egypte, les responsables de la confrérie n’ont plus qu’un contrôle relatif sur la base islamiste. « L’exclusion des islamistes du champ social et politique entraîne une radicalisation des partisans des Frères musulmans qui ne croient plus en la justice et en la démocratie et adoptent une stratégie de rejet vis-à-vis du politique. Au sein de ce vaste mouvement de protestation, la jeune génération et certains groupes penchent en faveur d’une stratégie plus radicale qui ne sera jamais déclarée ni assumée », estime le politologue égyptien Achraf Al-Chérif. L’expert en contre-terrorisme de l’Initiative égyptienne pour les droits personnels, Chérif Mohie Eddin, attribue à des éléments de la confrérie des actions de sabotage qui ont visé les réseaux d’électricité et de télécommunications, au printemps 2015.

Au sein de la jeune génération, « fréristes » radicalisés ou éléments déjà proches de mouvances plus radicales viennent grossir les rangs de nouveaux groupuscules armés, actifs dans les bastions de la contestation au Caire et dans le delta du Nil.

Des groupuscules tels que « Résistance populaire », « Molotov » ou encore « Ajnad Masr » (« Les soldats d’Egypte ») « mêlent dans un mauvais arabe des figures de la littérature salafiste (Ibn Taymiyya) et des slogans révolutionnaires, pointe le politologue Bernard Rougier. Ils dénoncent la répression et appellent à attaquer les locaux de la police, sans nécessairement demander le retour de Morsi ». Ils ont revendiqué de nombreux attentats de faible ampleur, parfois meurtriers. Mercredi 1er juillet, 20 membres présumés de « Résistance populaire » ont été arrêtés pour leur rôle dans l’attentat contre le procureur général. Pour les experts, la sophistication de l’attaque porte davantage la marque des djihadistes de l’organisation Etat islamique (EI).

Tout aussi explosive est la haine d’une frange apolitique de la jeunesse égyptienne qu’attise l’ampleur de la répression et des violences policières. Chercheur au sein de la Commission égyptienne pour les droits et les libertés, Abderrahman Gad souligne la dangereuse dérive de certains adolescents et étudiants de fiefs contestataires comme Matareya. Dans ce quartier du Caire qui a donné plus de 500 martyrs en deux ans et subi arrestations arbitraires et tortures policières à grande échelle, des jeunes apolitiques – parfois instrumentalisés – n’hésitent plus à défier à coups de cocktails molotov les forces de l’ordre lors des manifestations hebdomadaires.

Dans le Sinaï, une insurrection armée affiliée à l’Etat islamique

Certains éléments isolés sautent le pas de la contestation au djihadisme global. Des jeunes sans problème de la classe moyenne cairote ont rejoint le djihad en Syrie. D’autres commencent à affluer dans la péninsule du Sinaï, fief de l’insurrection armée menée depuis 2011 par Ansar Beit Al-Maqdis (« Les Partisans de Jérusalem »).

En réaction à la répression anti-islamiste, l’organisation s’est lancée dans une guerre d’usure contre les forces de sécurité égyptiennes, faisant des centaines de morts.
Surtout actif dans le triangle formé par les villes d’El-Arich, Rafah et Cheikh-Zoueid, à la frontière avec Israël et la bande de Gaza, le groupe a parfois mené des actions jusqu’au cœur de la capitale égyptienne. Ses quelques centaines de combattants aguerris, dont certains anciens officiers de l’armée et djihadistes passés par l’Afghanistan, sont majoritairement issus des tribus du Nord-Sinaï, indique le spécialiste des mouvements djihadistes Dominique Thomas. Ils bénéficient de soutiens dans des groupes locaux aux intérêts variés.

La marginalisation politique et économique de la population, ainsi que la répression féroce et l’emprisonnement de milliers de Bédouins, après les attentats de Taba et Nuweiba en octobre 2004, et ceux de Charm El-Cheikh en juillet 2005, « ont alimenté un désir de vengeance contre les forces de sécurité », explique Omar Achour, spécialiste du Sinaï à l’université d’Exeter, en Grande-Bretagne. Depuis deux ans, cette défiance s’est accrue au sein de la population, qui paie un lourd tribut dans les opérations coups de poing de l’armée, les offensives aériennes aveugles, les restrictions au passage des nombreux postes de contrôle déployés sur les routes du Sinaï ou encore les destructions infligées le long de la zone tampon établie à la frontière avec la bande de Gaza.

Depuis son allégeance à l’EI en novembre 2014, sous le nom de « Province du Sinaï », le groupe semble avoir accru ses capacités opérationnelles et accéléré sa convergence avec les branches actives en Syrie, en Irak ou en Libye. L’offensive spectaculaire contre les forces de sécurité, mercredi 1er juillet, est la dernière d’une série d’attentats au degré de sophistication accru. La porosité des frontières avec le Soudan et la Libye, et les prises militaires, lui offrent une source intarissable d’armements à la pointe.

Après quelques actions remarquées au Caire en 2013, la menace djihadiste a été contenue au Sinaï par le succès des opérations militaires égyptiennes. Les experts sont convaincus que le groupe cherche à étendre son champ d’action au travers de cellules clandestines hors du Sinaï. Fin mai, il a appelé à des attaques contre les juges sur tout le territoire, après l’exécution de six de ses membres par les autorités. Certains experts soupçonnent le groupe d’être derrière l’attentat contre le procureur égyptien lundi, ou encore celui déjoué contre le site touristique de Louxor, le 10 juin, qui n’ont pas été revendiqués à ce stade.

Crédit photos : Source : Le Monde.fr Auteur : Hélène Sallon Date : 02/07/2015

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