Deux ans après l’incendie du Cuba Libre, à Rouen : la justice avance, « mais les gens oublient »

C’était dans la nuit du 5 au 6 août 2016 : le Cuba Libre, sur la rive gauche de Rouen, s’embrasait, tuant 14 personnes. Deux ans après, la justice avance, les familles souffrent.

Deux ans après l’incendie du Cuba Libre, le bar de Rouen où 14 personnes ont été tuées en août 2016, les procédures avancent mais le deuil est "très difficile".
Deux ans après l’incendie du Cuba Libre, le bar de Rouen où 14 personnes ont été tuées en août 2016 : les procédures avancent mais le deuil est « très difficile ».

On ne s’arrête plus vraiment, avenue Jacques-Cartier, à Rouen. Tout juste certains passants marquent-ils le pas, jetant un regard sur les fleurs fanées. Depuis la nuit du vendredi 5 au samedi 6 août 2016, le Cuba Libre est un mémorial bigarré, usé, figé là où quatorze personnes ont été tuées dans l’incendie de la cave du bar, un soir de fête.

Deux ans après, la justice avance dans l’instruction de ce dossier sensible. Vendredi 20 juillet 2018, les avocats des 68 parties civiles ont reçu le réquisitoire définitif pour un renvoi devant le tribunal correctionnel des deux gérants, mis en examen pour homicides et blessures involontaires par violation d’une obligation de sécurité. Il faudra encore plusieurs mois avant d’aboutir à un procès. Pendant ce temps, les familles ne se relèvent pas.

Un procès en correctionnelle, pas avant 2019

« Le procès n’aura pas lieu avant 2019 », date Me Anaïs Lemiegre-Roy. Avec son père Dominique Lemiegre, elle gère la défense d’une famille de victime. Ils ont reçu le réquisitoire définitif vendredi 20 juillet, marquant la fin de l’instruction. Selon la loi, la prochaine étape aura lieu, au maximum, d’ici trois mois : « Le juge instructeur va rendre une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel. » Un échec, pour certaines familles.

Elles espéraient un procès aux assises. Mais les motifs de mises en examen des deux frères – homicides et blessures involontaires – sont passibles de cinq ans d’emprisonnement, donc jugés au tribunal correctionnel. Les familles pourraient faire appel de l’ordonnance de renvoi. Toujours est-il que ce pas est un petit soulagement : « Dans un dossier comme ça, l’avancement est toujours bien accueilli », explique Anaïs Lemiegre-Roy.

L’impossible retour à une vie normale

Une maigre consolation face au lourd tribut de ce drame. Depuis deux ans, les proches des 14 victimes s’affairent à reconstruire leurs vies, non sans peine. L’avocate évoque un de ses clients : « Il avait repris le travail en mi-temps thérapeutique, mais il a de nouveau flanché, il est en arrêt. C’est très difficile. » Certaines familles ont décidé de ne pas être à Rouen, pour le deuxième anniversaire, et ont pris leurs vacances en conséquence. « Pour la famille et l’entourage, chaque année est douloureuse », nous expliquait le psychiatre Christian Navarre en août 2017.

D’autres familles ont décidé de mettre leur énergie au service d’une cause : « Faire évoluer la législation », rappelle à 76actu la Ville de Rouen. Elles ont écrit au gouvernement, pour qu’il durcisse les règles de contrôle des établissements de nuit. « Nous l’avons fait aussi, pour les appuyer », dit la mairie. « On le doit aux victimes », écrivait Valérie Fourneyron, encore députée, en juin 2017. L’actuel député, Damien Adam, s’y était opposé.

Une stèle en hommage aux victimes posée en octobre

Depuis la houleuse commémoration du premier anniversaire, en août 2017, où le maire Yvon Robert avait été accusé de n’avoir pas fait ce qu’il fallait pour éviter ce genre de drame, la mairie de Rouen a « repris contact » avec les familles. Un des points d’achoppement était la plaque mémorielle, installée à la va-vite avant la cérémonie. « Une plaque de rue », se désolaient des proches. La mairie annonce à 76actu vouloir « poser une stèle » : "Une stèle digne de ce nom sera posée, avec tous les prénoms. Nous avons convenu de préparer ça pour octobre, avec une cérémonie. La pierre a été sélectionnée, ce sera pérenne."

Pour le deuxième anniversaire, aucune cérémonie n’est prévue. « En accord avec les familles », du côté de la Ville. Naomie, qui avait orchestré la commémoration du premier anniversaire, ne prépare rien non plus : « Je n’ai plus le courage… » Ophélie, la jeune femme qui fêtait ses 20 ans, était sa meilleure amie. La jeune femme se rendra tout de même, lundi 6 août 2018, devant la façade toujours barricadée du Cuba Libre, résignée : "plus on avance, plus les gens oublient."

Sauf ceux qui, chaque jour, passent devant l’établissement clos et y jettent un regard.

Source : 76Actu
Auteur : Simon Louvet
Date : 02/08/2018

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