Deux ans après l’assassinat du père Hamel, les martyrs oubliés de Saint-Étienne-du-Rouvray

Deux ans après l’assassinat du père Jacques Hamel, l’enquête progresse. Exceptionnelle et accélérée, la procédure en béatification du martyr Jacques Hamel se poursuit. Deux avancées qui ne doivent pas occulter le sort des époux Coponet.

Ce jeudi 26 juillet, Guy Coponet aurait dû souffler ses 88 bougies. Mais ce jour-là, au lieu de célébrer son anniversaire, le vieil homme commémorera les deux ans de l’assassinat de son ami, le père Jacques Hamel. Une épreuve, dans la pitié et la piété, qui ravivera un peu plus d’autres souffrances. Car Guy Coponet, fidèle paroissien de Saint-Étienne-du-Rouvray, se trouvait avec son épouse Janine dans l’église le jour de l’attentat islamiste. Dans le déchaînement de violence, il a été grièvement blessé au couteau par l’un des deux terroristes, Adel Kermiche, et a frôlé la mort. « Aujourd’hui, monsieur Coponet se considère comme un miraculé qui n’a survécu que pour témoigner du martyr du père Hamel », confie Me Méhana Mouhou, l’avocat du couple qui les visite régulièrement pour les informer de l’avancée de l’enquête et les soutenir.

Par pudeur, les époux Coponet ne veulent pas s’épancher sur leur douleur. « Elle est pourtant terrible, relate Me Mouhou. Le traumatisme est permanent. Ils éprouvent de grandes difficultés à dormir et se remémorent sans cesse les images de l’attentat. Guy Coponet a été grièvement blessé, le cou tranché. Il souffre de problèmes respiratoires, de déglutition. Même boire un verre d’eau lui est pénible ». Avant de recevoir les coups tranchants, il a dû endurer un autre supplice. Le second terroriste, Abdel Malik Nabil-Petitjean, a contraint le mari Coponet à filmer la scène d’horreur et l’assassinat du prêtre avec un téléphone portable. « L’un des deux jeunes m’a donné son enregistreur. Comme j’avais peur, j’ai filmé. Et le plus virulent a massacré le prêtre. Les dernières paroles du père Hamel ont été : "Va-t’en démon !" Alors il m’a mis des coups de couteau dans le dos et au cou. Je me suis écroulé », a raconté Guy Coponet aux policiers lorsqu’ils l’ont auditionné quelques jours après la tragédie. Impuissante, son épouse a assisté la mise à mort de l’homme d’église et aux coups portés à son mari qu’elle croyait mortellement frappé.

Toujours pas reçus par le juge d’instruction

Le couple, victime, s’est bien sûr constitué partie civile. Mais, étonnement, au bout de deux années, Guy et Janine n’ont toujours pas été reçus par le juge d’instruction. Le premier magistrat en charge de l’affaire, Claude Choquet, n’est resté en fonction au pôle antiterroriste qu’un an avant de partir à la retraite. Il a alors passé la main, en septembre 2017, à sa collègue Emmanuelle Robinson. Outre le dossier Saint-Étienne-du-Rouvray, cette dernière doit également instruire, entre autres, celui de l’attentat de Nice en juillet 2016 et du Caire en février 2009, elle est encore co-saisie de l’instruction sur les massacres du 13 novembre 2015.

Cette surcharge de travail explique possiblement pourquoi les époux Coponet sont oubliés de la justice et n’ont pas été entendus à ce jour. Ils le souhaitent pourtant ardemment, indique leur avocat, pour un contact humain la juge et pour témoigner en détails des circonstances de l’attentat. Le temps passe. L’an dernier, Emmanuel Macron s’était rendu aux commémorations du premier « anniversaire » de l’attentat. Cette année, ni le chef de l’État, ni le Premier ministre ou un membre de gouvernement ne sont attendus à Saint-Étienne-du-Rouvray.

La "naïveté de la justice" face aux terroristes

Pour autant, l’enquête progresse. Et elle met au jour ce qui constitue un réseau terroriste. « C’était clairement l’ambition de Kermiche, détaille Me Mouhou, qui représente des victimes dans de très nombreux dossiers terroristes et est un fin connaisseur de ce domaine complexe. Kermiche a créé une chaîne de discussion sur la messagerie cryptée Telegram qui était suivie par 300 individus. Il y a indiqué clairement à plusieurs reprises que son objectif était de "créer une cellule terroriste à Rouen" et fixait la mosquée de Saint-Étienne-du-Rouvray comme "lieu de rassemblement" ». Peu habitué à la langue de bois, l’avocat soulève les questions qui fâchent. Kermiche était en effet dans le viseur de la justice, et de longue date. A deux reprises, il a été interpellé alors qu’il tentait de gagner la Syrie et de rejoindre les rangs de l’État islamique.

Incarcéré, il a toutefois été libéré le 18 mars 2016. « Je déplore une naïveté d’une partie de la justice française, tance Me Mouhou. Le parquet avait fait appel de cette décision de remise en liberté, mais elle a été confirmée par la chambre de l’instruction. C’est stupéfiant ! Les juges se sont faits berner par Kermiche. Celui-ci leur a déclaré : "Je veux m’insérer, trouver un travail, m’intégrer à la société française, toute cette histoire est derrière moi". Les magistrats n’ont pas perçu que ce discours relevait de lataqîya, la dissimulation prônée comme méthode par les djihadistes pour endormir la vigilance de la police et de la justice ». Résultat, Kermiche, 19 ans, dont la dangerosité était avérée, a recouvré la liberté. Placé sous contrôle judiciaire, avec autorisation de sortir du domicile de ses parents entre 8h30 et midi. Le 26 juillet 2016 au matin, il a donc perpétré l’attentat avec Petitjean, assassiné le père Hamel et grièvement blessé Guy Coponet... en respectant scrupuleusement les molles obligations que lui imposaient la justice.

La création d’une "cellule terroriste"

Ne parvenant pas à gagner la Syrie, les deux djihadistes ont décidé de passer à l’acte au coin de la rue. Ils ont été téléguidés depuis l’Irak par le terroriste français Rachid Kassim comme l’atteste ce message adressé à Kermiche : « Tu rentres dans une église et tu coupes deux têtes. C’est très facile et paf ! ». Mentor de plusieurs terroristes sur le sol français, Kassim a été tué le 10 février 2017 près de Mossoul, en Irak, par la frappe ciblée d’un drone américain. Les deux djihadistes de Saint-Étienne-du-Rouvray, eux, avaient entrepris de constituer leur réseau. Aujourd’hui, quatre individus sont mis en examen dans ce dossier. Deux sont libres sous contrôle judiciaire : le premier pour avoir tenté de partir en Syrie avec Kermiche, le second pour avoir détenu une vidéo de Petitjean évoquant « une action violente » au nom de Daech deux jours avant l’attentat.

Deux autres sont incarcérés. Tout d’abord Farid Khelil, cousin de Petitjean, suspecté d’avoir eu connaissance de la préparation de l’attentat, sous les verrous depuis le 31 juillet 2016. Paris Match a rassemblé d’autres informations, inédites, sur le second, Yassine Sebaïha, interpellé le 8 août 2016, mis en examen pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle ». Né en 1994 à Toulouse, celui-ci a rencontré les deux terroristes. Dès le 20 juillet 2016, il était en contact avec Kermiche via Telegram. Puis, son téléphone portable a borné le 24 juillet à Saint-Étienne-du-Rouvray.

Aux enquêteurs, Sebaïha a indiqué qu’il cherchait à se rapprocher de vrais musulmans mais se dit « contre les idées de l’État islamique ». Il a raconté s’être rendu à Rouvray où il a été pris en charge par Petitjean. Ils sont restés ensemble deux heures dans un parc avant qu’il soit conduit à Kermiche. A l’en croire, les deux djihadistes le tenaient pour un « mauvais musulman » car il « regardai[t] les filles et écoutai[]t de la musique ». La musique qui constitue en effet un « sifflement satanique », haram, contraire à l’islam, pour les fanatiques de Daech. Sebaïha n’aurait donc pas été intégré au projet terroriste. Il aurait passé la nuit du 24 au 25 juillet dans un parc avant de reprendre un bus pour Toulouse le lendemain matin. Apprenant l’assassinat du père Hamel et la mort de Kermiche et Petitjean sous les balles des policiers, il aurait effacé ses échanges sur la messagerie Telegram « par peur ». Le Toulousain, au casier judiciaire vierge, plaide donc la bonne foi. Devait-il être le « troisième homme du commando terroriste » ? Sa demande de remise en liberté a, en tout cas, été rejetée.

Vers un autre "procès".. en béatification

Alors que la justice suit son cours, c’est un autre « procès » qui se profile, cette fois celui en béatification du père Jacques Hamel. La procédure est exceptionnelle. Avant de déclarer ainsi une personne « bienheureuse », l’Église respecte traditionnellement un délai de cinq ans après le décès. Trois exceptions à ce jour : Jean-Paul II, Mère Teresa et, donc, le père Hamel. Le processus clérical a été ouvert dès le 20 mai 2017. La lourde tâche de constituer le dossier incombe au père Paul Vigouroux. « J’ai d’ores et déjà réunis les témoignages utiles, indique-t-il à Paris Match, ceux de la famille du père Hamel, ses paroissiens récents et plus anciens, les époux Coponet, les trois religieuses qui étaient également présentes dans l’église le jour de son assassinat, l’ancien maire, l’imam local ».

A cela s’ajoute la collecte d’archives afin de « nourrir la cause » du père Hamel, selon l’expression consacrée. Ses écrits son rassemblés, imprimés. Le documentaire « Père Hamel, martyr de la République », réalisé par Alfred de Monstesquiou, grand reporter à Paris Match, et diffusé sur France 2 en mars dernier est également versé au dossier. « Le processus diocésain sera clôt d’ici la fin de l’année », indique le père Vigouroux. Alors les documents seront mis sous scellés puis envoyés au Vatican. Dans ce récit d’une vie, une myriade de détails révèle l’homme, indissociable du serviteur de l’Église. Ainsi, ce détail, le père Jacques Hamel s’accordait parfois de fumer un petit cigarillo après le déjeuner, se souvient un de ses amis. Un plaisir simple, pas même un péché véniel. D’ailleurs, Catherine Deneuve n’a-t-elle pas chanté aux côtés de Serge Gainsbourg, que Dieu lui-même « est un fumeur de havanes » ?

Source : Paris Match
Auteur : La Rédaction
Date : 25/07/2018

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