Déraillement de Brétigny : le deux poids deux mesures de l’enquête judiciaire

Une nouvelle requête de la SNCF a été acceptée. Celles des victimes sont, elles, régulièrement rejetées.

L’instruction judiciaire dans l’affaire du drame de Brétigny-sur-Orge traiterait-elle différemment les victimes et les deux entreprises ferroviaires, RFF et la SNCF ? Pour les avocats des parties civiles, la réponse est évidente : oui. Selon nos informations, le 13 mars prochain, la chambre de l’instruction se prononcera sur la demande de la SNCF d’un nouveau ‐ rapport métallurgique concernant l’état de la voirie sur le site de l’accident.

En janvier 2016, un rapport d’expertise complémentaire avait déjà été rendu aux magistrats instructeurs. Le 29 février, la SNCF sollicitait un complément, mais la demande était rejetée en mars. Huit jours plus tard, l’entreprise faisait appel de cette décision. La requête sera donc examinée le mois prochain, ce qui fait bondir les parties civiles. Elles accusent les juges et le parquet de céder à toutes les requêtes, y compris les plus farfelues de RFF et de la SNCF. L’objectif de cette dernière est de plaider sa « théorie de la fissure rapide » qui serait, selon elle, à l’origine du déraillement meurtrier. Les experts judiciaires ont pourtant prouvé que la fissure était là depuis des années. La SNCF admet d’ailleurs l’avoir détectée en 2008. L’enjeu est majeur pour l’entreprise : reporter la faute sur la nature de l’acier et non sur les nombreuses failles de maintenance mises en évidence par les enquêteurs.

Ce vendredi 12 juillet 2013, le train Intercités 3657 reliant Paris-Austerlitz à Limoges déraillait à 17 h 11 en gare de Brétigny-sur-Orge (Essonne) alors qu’il s’apprêtait à la traverser sur la voie 1. C’est une éclisse, une grosse agrafe sur l’aiguillage, qui a provoqué l’accident : une fissure n’avait pas été détectée lors des tournées de surveillance, et trois des quatre boulons étaient cassés ou dévissés. L’éclisse avait alors pivoté et fait sortir le train des rails. Bilan : sept morts et des dizaines de blessés.

Soupçons sérieux

Le 24 juillet 2013, le procureur de la République d’Évry avait ouvert une information judiciaire. Dans cette affaire, seules deux personnes morales ont été mises en examen, la SNCF et Réseau ferré de France, pour homicides et blessures involontaires. Trois cheminots de la SNCF, chargés de la surveillance des voies, ont été placés sous le statut de témoin assisté.

Un deux poids deux mesures. Lors de la rencontre avec les parties civiles en mai dernier, les avocats de ces dernières s’étaient affrontés au procureur de la République d’Évry, Éric Lallement. En cause, le refus du parquet d’ouvrir une information judiciaire pour « subornation de témoins », et ce, malgré les multiples écoutes téléphoniques laissant penser que des soupçons sérieux étayent cette théorie. Comme cet appel de Claire Chriqui, juriste de la SNCF, à un agent devant être entendu prochainement par les enquêteurs et qui envisage d’apporter les référentiels de l’entreprise concernant la maintenance (Le Figaro du 8 février 2016). La responsable lui recommandait de « ne rien » leur apporter. Plus loin, elle ajoutait : « Tu ne vas pas arriver avec tout ton matos. Tu viens avec rien (...). Il ne faut pas être proactif avec eux, il faut véritablement attendre leurs demandes.  » Docile, l’interlocuteur proposait du coup d’aller cacher ces documents « au fin fond de l’Auvergne ».

Le 11 décembre 2013, le procureur - qui avait ouvert une enquête pour violation du secret de l’instruction contre Le Figaro - nous expliquait ne pas comprendre la nécessité de nommer des experts judiciaires indépendants. Alors que les plus qualifiés pour réaliser ce travail étaient incontestablement, à ses yeux, ceux de... la SNCF.

Me Vincent Jules, un avocat de la partie civile, observe : « À chaque fois que les victimes demandent des mesures permettant de rechercher la vérité et d’incriminer des personnes physiques, on a l’impression que les juges et le parquet freinent. Les deux entreprises sont mises en examen en tant que personnes morales. Mais les vic times veulent des responsables physiques. Qui était en charge des opérations de maintenance ? Qui pouvait agir et ne l’a pas fait ? Les juges et le parquet espèrent que les victimes vont se contenter d’une vérité a minima. La posture de Guillaume Pepy, patron de la SNCF, pleine d’une compassion affichée, tranche avec la stratégie procédurale de l’entreprise. » Me Alexandre Varaut, lui aussi partie civile, résume : « Il est légitime de se défendre mais pas de noyer la procédure avec des demandes inutiles et, malheureusement, toujours acceptées. Il serait temps que cette affaire soit jugée.  »

Le conseil de la SNCF, Me Emmanuel Marsigny, réfute ces soupçons : « Il suffit de regarder ce que demandent les parties civiles et d’analyser les raisons pour lesquelles les magistrats refusent leurs demandes. Il y a des choses qui ne sont pas pertinentes. Il n’y a pas de différence de traitement entre RFF, la SNCF et les vic times. Il faut que les médias arrêtent de voir le mal partout !  ».

Source : Le Figaro
Auteur : Anne Jouan
Date : 7 février 2017

Crédit photos : Source : Le Figaro Auteur : Anne Jouan Date : 7 février 2017

Nous soutenir

C’est grâce à votre soutien que nous pouvons vous accompagner dans l’ensemble de vos démarches, faire évoluer la prise en charge des victimes par une mobilisation collective, et poursuivre nos actions de défense des droits des victimes de catastrophes et d’attentats.

Soutenir la FENVAC

Ils financent notre action au service des victimes