Crash d’EgyptAir : le désarroi des familles

Un mois après la tragédie du vol MS 804, l’association des familles des victimes françaises lance un appel au président. Elle exige la transparence et veut que le repêchage des corps soit une priorité.

Ils ont le sentiment d’être ballottés. Egarés dans des considérations diplomatiques qui leur échappent. Et d’être, eux, les proches des victimes du crash d’EgyptAir du 19 mai, les derniers informés. La localisation des débris mercredi, le repêchage des deux boîtes noires jeudi et vendredi (dont le décryptage doit permettre d’identifier les causes de la catastrophe), ces étapes clés annoncées par la commission d’enquête égyptienne, ne changent pas ce ressenti. « Chaque fois, nous l’avons appris par les médias », soupire Sophie, qui a perdu son fils Clément, l’un des 15 passagers français de ce drame qui a fait 66 victimes.

Les deux réunions organisées au Quai d’Orsay depuis un mois avec l’ambassadeur d’Egypte et un représentant de la compagnie ne les ont pas vraiment rassurés. « On nage dans le flou et l’opacité. On lit l’actualité sans savoir si cela reflète ou non la réalité. On ignore ce qu’il est advenu des premiers restes humains repêchés et si d’autres ont été depuis repérés », déplore Julie, dont le père et l’un des frères ont péri dans la catastrophe. « On a besoin de savoir, besoin d’explications », martèle la jeune femme.

Se rassembler pour peser. Pour exiger « la transparence » et « la vérité » que le ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, leur a promises au lendemain du crash. C’est avec ces objectifs-là que les familles des quinze victimes françaises viennent de se constituer en association*. La Fenvac (Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs) a accompagné leur démarche et les soutient. « Il fallait donner une identité unique à toute cette souffrance. Pour être plus forts », explique le mari de Julie. « Nous savons qu’il n’est pas possible d’avancer seuls sur ce chemin difficile », souligne Jean, qui pleure son épouse. L’association, explique son futur président, entend réunir aussi les proches des victimes d’autres pays (le vol comptait des ressortissants de 12 nationalités) et va bientôt ouvrir une page Facebook en trois langues (dont l’arabe).

Le repêchage des corps, l’origine du crash... Chacun a une attente particulière. Le premier message de l’association s’est adressé au chef de l’Etat, à qui elle demande audience : « Nous souhaitons une implication personnel le du président Hollande », expliquent-ils. « Il est le seul à pouvoir intervenir auprès de son homologue égyptien pour que les choses se passent autrement », renchérit Danielle, qui a perdu son fils Karim.

L’enquête étant menée sous l’autorité de l’Egypte, ils en sont convaincus : seul un engagement de la France au plus au niveau de la diplomatie peut garantir la transparence promise. Et, surtout, assurer la pérennité de la présence du navire ultra-équipé de la société franco-britannique Deep Ocean Search, opérationnel depuis le 9 juin sur la zone du crash, à 290 km au nord d’Alexandrie, pour les recherches sous-marines.

L’association s’étonne, par ailleurs, qu’aucune information judiciaire n’ait été ouverte en France. « Nous voulons qu’un juge d’instruction soit désigné et qu’il puisse se rendre sur place. Nous voulons pouvoir nous constituer parties civiles et avoir accès au dossier », demandent les familles. Selon l’avocat de plusieurs d’entre elles, Me Sébastien Busy, le parquet de Paris (qui n’a pas répondu à notre sollicitation) attendrait la confirmation qu’il ne s’agit pas d’un acte terroriste. « La position du parquet est incompréhensible, avance-til. Il n’y a aucun obstacle procédural ! Et cela avait été fait dans les cinq jours après les crashs du Rio-Paris et d’Air Algérie. »

* Association des familles de victimes du vol EgyptAir MS 804 : association.crashegytair@gmail.com.

« Récupérer les corps est pour nous primordial »

« Ramener les corps des victimes à leurs proches, personne n’en parle. Cela doit être la priorité ! L’Etat français doit s’y engager. » Sophie l’exprime sans détour : la récupération des boîtes noires de l’Airbus A320 d’EgyptAir qui s’est abîmé en Méditerranée, lui importe peu. La mère de Clément, 26 ans, qui partait quelques jours en Egypte pour le mariage d’un ami de promotion, n’a qu’une volonté : « Je souhaite qu’on ramène le corps de mon fils. Que je puisse l’enterrer et me recueillir. Je sais que cela sera long. Que tout va être très très long... »

Le robot sous-marin en a-t-il repéré ?

Sophie confesse se sentir impuissante. « Les premiers jours, on a l’infime espoir que l’on retrouve des survivants. Après, on comprend qu’on ne trouvera personne. Maintenant, on a l’impression d’être soumis aux aléas politiques, diplomatiques, commerciaux... Que pèse le désir d’une maman de ramener la dépouille de son enfant face à tous ces intérêts ? »

Le repêchage des enregistreurs de vol ayant été accompli, les familles de l’association des victimes du crash ont cette crainte : que le navire du groupe franco-britannique missionné sur la zone par les autorités égyptiennes ne voie son rôle s’arrêter là. Elles vivent très mal le fait de ne pas savoir si le robot sous-marin du « John Lethbridge », équipé pour la fouille des épaves à grande profondeur, a pu ou non repérer des corps, à quelque 3 000 m de fond. Hormis la durée initiale de son contrat (vingt-huit jours), elles ignorent l’étendue de son mandat : ne pourrait-il pas d’ores et déjà tenter de récupérer les dépouilles ?

Il existe un précédent, unique au monde, avec le crash du Rio-Paris dans l’Atlantique en juin 2009, rappelle Stéphane Gicquel, le secrétaire général de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac).

Conduite deux ans plus tard par le navire « Ile-de-Sein », l’opération de « relevage » des corps par 4 000 m de fond — une prouesse — avait permis d’en remonter 104.

« Récupérer les corps est pour nous primordial », insiste Julie. Avec ses frères et sœurs, ils ont organisé il y a peu une cérémonie pour leur père et leur frère. Pierre, 76 ans, et Quentin, 41 ans, partaient pour un voyage touristique de quatre jours. « Sans cercueil, c’est complexe, décrit la jeune femme. Même si l’on prend conscience petit à petit, tout reste virtuel. »

Source : LeParisien.fr
Auteur : Pascale ÉGRÉ
Date : 19.06.2016

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