« J’aurais préféré partir avec eux que d’être là aujourd’hui. Parce que ça, c’est terrible », a lâché en larmes, le chauffeur du car qui été avait percuté par un TER en 2008, tuant sept collégiens à Allinges (Haute-Savoie), lors du troisième jour du procès.
« On roule des années, on fait toujours attention et là d’un seul coup, en dix secondes, c’est parti », a poursuivi Jean-Jacques Prost, la voix tremblante, à la barre du tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains.
Chauffeur de car pendant 18 ans, M. Prost, 54 ans, moustache et cheveux grisonnants, n’avait jamais perdu un seul point de son permis de conduire avant l’accident du 2 juin 2008.
Regard dans le vide, débit haché, il a répondu une heure durant aux questions du président, en cherchant souvent ses mots.
« C’est des enfants que j’ai aimés. C’étaient les miens, quelque part, dans le car », a-t-il raconté.
Des doudous offerts pour mettre à son rétroviseur
Parmi les sept collégiens de 11 à 13 ans qui sont morts lors de l’accident, certains lui parlaient régulièrement. « Ils avaient l’habitude de vous donner des petites choses », lui a rappelé le président du tribunal, parlant de « doudous » et de « pendentifs » à accrocher au rétroviseur intérieur de son car.
« Oui, ils étaient très reconnaissants, respectueux », a acquiescé M. Prost.
« Aujourd’hui, j’ai qu’une envie, c’est de partir avec mes gamins », a lâché le chauffeur d’une voix étranglée.
Il s’est adressé aux familles, en étouffant des sanglots : « Je tiens à leur dire que je partage avec eux ces moments de douleur, depuis le début ».
Ne contenant plus ses larmes, M. Prost a aussi évoqué sa vie qui « s’est dégradée petit à petit » et les « regards des gens qui (le) croisent dans la rue et qui vous disent plus bonjour ».
Tremblant d’émotion, il a terminé son audition en pleurs, penché sur la barre du tribunal, la tête entre les mains.
A la suspension d’audience, des parents des victimes essuyaient leurs larmes en quittant la salle.
Auparavant, M. Prost avait été longuement interrogé sur ses différentes manoeuvres au moment de traverser le passage à niveau.
Il a raconté avoir d’abord « cru à une blague » quand il a entendu une élève dire qu’une barrière se baissait alors que le car était engagé en plein milieu de la voie ferrée.
M. Prost n’avait ni vu ni entendu les signaux de déclenchement du passage à niveau. « J’étais dans l’ignorance totale », a-t-il assuré.
Freinant pour ne pas endommager le car, il n’a ensuite pas réussi à redémarrer, la pédale d’accélération restant « bloquée au sol ».
« Je me suis senti piégé », a-t-il répété à maintes reprises.
L’enquête n’a pourtant pas révélé d’anomalie sur la pédale d’accélération du car. Et le récit de M. Prost n’est pas compatible avec le rapport d’expertise qui estime que le car est resté bloqué contre le trottoir après un braquage à droite.
« C’est flou dans ma tête », s’est excusé le chauffeur en reconnaissant que les experts disaient peut-être vrai.
« Le plus terrible pour moi, c’est que j’aurais pu faire quelque chose (...). C’est ça qui me ronge aujourd’hui », a-t-il dit.
Entendus dans l’après-midi, la SNCF et Réseau Ferré de France (RFF), eux aussi jugés pour homicides involontaires, ont assuré n’avoir jamais été informés de la dangerosité du passage à niveau d’Allinges.
« Il y a un décalage énorme entre l’homme accablé qui assume sa part de responsabilité et ces deux sociétés qui se renvoient la balle et ne savent même pas ce qu’elles font en terme de sécurité », a critiqué Me Denis Dreyfus, avocat des parties civiles.
Le 2 juin 2008, un TER assurant la liaison entre Evian-les-Bains et Genève avait percuté un car scolaire en Haute-Savoie, tuant sept collégiens âgés de 11 à 13 ans et faisant 25 blessés.
Le procès doit s’achever le 12 avril.
AFP, libération.fe, le 5 avril 2013