Brétigny : le vieillissement des lignes n’est pas en cause selon RFF

C’est une "éclisse", une pièce d’acier de 10 kg qui maintient la jonction de deux rails, qui serait à l’origine de la catastrophe ferroviaire de Brétigny-sur-Orge (Essonne), vendredi 12 juillet. Le bilan est lourd : les secours arrivés rapidement sur place ont dénombré six morts et soixante-deux blessés, dont neuf graves.

Ce soir-là, jour de grand départ en vacances, le train n° 3657 reliant la gare de Paris-Austerlitz à Limoges se disloque à l’approche de la gare francilienne, au niveau d’un aiguillage. Si la locomotive et les trois premiers wagons passent, la quatrième voiture se détache, se soulève et déraille, entraînant derrière elle les trois dernières voitures.

Tandis que le conducteur réussit à arrêter la rame en urgence 200 mètres plus loin, les quatre wagons détachés s’encastrent dans l’un des quais de la gare. Dès samedi 13 juillet, la SNCF et Réseau ferré de France (RFF), qui gère les infrastructures, ont annoncé leurs doutes sur cette éclisse qui est venue perturber le bon fonctionnement de l’aiguillage. Dimanche, les deux entreprises ont par ailleurs précisé que "l’examen complet de la rame déraillée n’a signalé aucune anomalie mécanique des essieux".

Selon Jacques Rapoport, président de RFF, les enquêtes engagées doivent encore établir les raisons de ce dysfonctionnement.

Où en est l’enquête lancée par RFF et la SNCF sur les causes de l’accident ferroviaire de Brétigny-sur-Orge ?

Jacques Rapoport Je souhaite avant tout évoquer le choc ressenti après ce dramatique événement et exprimer la totale solidarité de RFF, comme la mienne, à l’ensemble des victimes et de leurs familles. Je souligne également l’engagement total de cheminots, qui se sont mobilisés de manière exceptionnelle pour venir en aide à Brétigny-sur-Orge. Cet accident est un traumatisme pour l’ensemble des équipes de RFF et SNCF.

Sur l’enquête, nous avons d’ores et déjà déterminé les éléments factuels qui ont mené au déraillement du train. Lors du passage de la rame, une éclisse, une sorte d’agrafe métallique qui lie deux rails ensemble, s’est brisée et a basculé pour venir heurter le coeur d’un aiguillage. Nous avons constaté que la pièce a heurté le dernier essieu du troisième wagon. L’éclisse a agi comme un tremplin sur le quatrième wagon, forçant celui-ci à se détacher de la tête du train et à dérailler.

Comment cette pièce a-t-elle pu basculer ?

C’est cette question à laquelle doivent désormais répondre les trois enquêtes lancées par la justice, le bureau d’enquêtes et d’analyses des accidents du ministère des transports et celle de RFF et SNCF. A mon sens, les enquêtes seront longues car il va falloir mener de nombreuses analyses. Selon les annales de la SNCF, c’est un événement inédit sur notre réseau.

Quelle est la responsabilité de RFF dans cet accident ?

Je souhaite tout d’abord souligner que nous sommes pleinement associés à la SNCF pour ce qui concerne notre devoir à l’égard des victimes. Sur l’accident lui-même, les enquêtes détermineront qui est responsable de quoi. Dans l’immédiat, nous avons pris des mesures d’urgence. Nos équipes vérifient, depuis dimanche, 5 000 équipements qui répondent aux mêmes caractéristiques que celui incriminé à Brétigny-sur-Orge. Une fois que nous disposerons des conclusions des enquêtes, si nous devons prendre des mesures plus structurelles, nous les prendrons.

Les voyageurs doivent-ils désormais craindre d’utiliser le train ?

Nous souhaitons nous assurer de la sécurité du réseau. Nous devons cela à tous les voyageurs. Et de fait, les accidents ferroviaires sont très rares. Le dernier grand accident remonte à 1988, lors de la collision de deux trains à Paris, à la gare de Lyon. Et le dernier accident grave, faisant suite à un déraillement, remonte à 1985. La sécurité, notre priorité, est élevée dans le système ferroviaire français, parmi les meilleurs d’Europe, même si elle n’est malheureusement pas infaillible.

Cet accident intervient alors que des experts pointent le vieillissement du réseau ferroviaire français faute d’investissements suffisants ces dernières décennies. Cela peut-il avoir causé cet accident ?

Ne nous trompons pas de débat. Le vieillissement du réseau et le sous-investissement, entre les années 1970 et le milieu des années 2000, ne mettent pas en péril sa sécurité, mais pèsent sur sa performance, c’est-à-dire la régularité et la fréquence des trains.

Plus un réseau vieillit, plus nous devons mettre en place des mesures de sécurité, comme le ralentissement des trains sur certaines voies et l’augmentation des intervalles entre deux trains, ce qui crée d’importants retards, irrégularités et surcharges.

Pour nous, la sécurité est la priorité absolue et 25 000 cheminots assurent les activités de maintenance et de contrôle nécessaires.

Reste que, pour améliorer durablement l’ensemble d’un système, il faut le moderniser et ne pas se contenter de le maintenir dans son état actuel.

Depuis 2005, les choses ont pourtant changé.

A la suite du rapport de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne de 2005, qui a souligné qu’en l’absence d’investissements de renouvellement de nombreuses lignes devraient subir des limitations de vitesse, voire des fermetures, RFF, la SNCF et l’Etat ont décidé d’investir. En cinq ans, les dépenses totales de maintenance ont progressé de 60 %. Les investissements de modernisation sur le réseau existant sont quant à eux passés de 1 milliard à 2,5 milliards d’euros. Ce montant entraîne de nombreux travaux sur le réseau, au risque parfois de perturber des circulations de trains. Mais c’est le prix à payer pour conforter le devenir de cet important patrimoine national. Nous nous réjouissons vivement que le gouvernement ait récemment décidé de pérenniser et de renforcer les efforts d’investissement dans la modernisation du réseau. C’est en effet nécessaire pendant encore de nombreuses années.

Le gouvernement a annoncé, mardi 9 juillet, sa volonté de réorienter sa politique ferroviaire du tout TGV aux trains du quotidien, Jean-Marc Ayrault, le premier ministre, répond donc à vos attentes.

Il a décidé de rééquilibrer ses investissements entre les lignes nouvelles et la modernisation des lignes existantes. Il ne s’agit évidemment pas d’être hostile aux lignes nouvelles à grande vitesse, mais de retenir dorénavant un rythme permettant une allocation équilibrée des ressources. Historiquement, nous développions une nouvelle ligne après l’autre. Aujourd’hui, quatre nouvelles lignes sont en construction en même temps. C’est très motivant, mais aussi mobilisateur de ressources très importantes.

Philippe Jacqué, Lemonde.fr - 15 juillet 2013


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