Abou Zeid, l’émir qui voulait faire trembler la France

INFOGRAPHIE - Sa mort, confirmée samedi par Paris, est un rude coup porté à al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), dont il avait fini par incarner le visage et le nom.

Abou Zeid sera resté secret jusque dans sa mort. Il aura fallu plusieurs semaines de rumeurs avant que la fin de cet islamiste algérien, annoncée le 1er mars par le Tchad, soit finalement officialisée par Paris. L’homme a été tué lors d’un bombardement aérien conduit par l’aviation française près de In Tebdoq au nord du Mali au cours d’une opération conjointe menée avec les Tchadiens.

Sa mort est un rude coup porté à d’al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), dont il avait fini par incarner le visage et le nom.

À 46 ans, ce vétéran du djihad, n’était officiellement que le chef de l’une des plus puissantes katibas, mais il s’était construit une solide réputation : celle d’un être intelligent et intransigeant jusqu’au fanatisme, d’un calme capable de se montrer d’une extrême cruauté. Abdelhamid Abou Zeid, petit homme rachitique à la barbe grise, jouait pourtant facilement auprès des siens le rôle d’un sage placide. Un double visage qu’il semblait entretenir savamment. Longtemps même son identité fut brouillée. La CIA l’avait identifié comme un certain Abib Hammadou avant que les services algériens n’acquièrent la certitude, il y a à peine deux ans, que Zeid était en fait Mohammed Ghdiri, un enfant de Debded, un bled à la frontière libyenne.

Cette identification formelle va permettre de retracer un peu le parcours du futur émir. Une trajectoire classique d’abord au sein du Front islamique du salut (FIS), au début des années 1990 dont il suivra toutes les dérives les plus extrémistes, du Groupe islamique armé (GIA) jusqu’au en Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), en 1998. Dans ce qui formera sept ans plus tard Aqmi, Abou Zeid croise Abderrezak el-Para, dont il devient le bras droit, et Mokhtar Belmokhtar, l’autre grand émir d’Aqmi.

Chassé d’Algérie, les djihadistes trouvent refuge au tournant des années 2000 dans les confins du désert du Mali. En 2003, ils capturent 32 touristes européens. C’est là, en marge des négociations qu’il rencontre le chef touareg Iyad Ag Ghaly, aujourd’hui le chef d’Ansar Dine. Cette première prise d’otages va apporter des fonds au groupe à bout de souffle et aiguiser la rivalité avec Belmokthar. Ce dernier, alias « le Borgne », va multiplier les rapts et les trafics s’éloignant de la doctrine salafiste. Abou Zeid, lui, veut conduire sa légion, considérablement renforcée avec l’arrestation dans une grotte au Tchad d’el-Para en 2004, vers le djihad et mener le combat contre les mécréants et les takfirs, les « mauvais musulmans ». Ce radicalisme fera son succès et le sort va lui offrir le moyen d’imposer son sanglant programme.

Il fait de Tombouctou sa capitale
Début 2012, la rébellion touareg gagne le nord du Mali et l’Adrar des Iforas, le fief d’Aqmi. Selon plusieurs sources, Abou Zeid est celui qui va mettre au point la manipulation et le savant noyautage des insurgés laïques du MNLA par les siens. Une stratégie couronnée de succès. À peine vainqueur, le MNLA est marginalisé puis militairement écrasé pour laisser place à Aqmi et à ses alliés d’Ansar Dine. Abou Zeid fait de Tombouctou sa capitale.

Après quinze années de désert, il s’installe au cœur de la cité. Mais l’homme continue de cultiver son image d’ascète, discret et prudent. « On le voyait souvent en ville. Il utilisait toujours des vielles voitures, jamais de beaux 4 × 4. Il en changeait tout le tout temps. On pouvait le croiser allant seul quelque part au volant d’une voiture blanche et revenir peu après à l’arrière d’une grise », se souvient le journaliste Abdoulaye Traoré.

En décembre dernier, Abou Zeid achève sa mue. Celui dont on ne connaissait que quelques photos floues et controversées apparaît pour la première fois sur une vidéo où il revendique la détention de quatre Français enlevés en 2010 à Arlit. Une brusque médiatisation qui tout d’abord surprend. Tout y est cependant très calculé : avec sa barbe blanche, sa diction lente et modérée, il prend des allures de vieux sage. La mise en scène, sur fond de drapeau noir avec une kalachnikov à son côté, évoque Oussama Ben Laden. À Tombouctou, en dépit des guimbardes, personne ne doute d’ailleurs que ce soit lui le chef. Et de Ben Laden, il a pris les atours d’émir placide, mais aussi la détermination sanglante. Dans la ville des Saints, la peur entoure l’émir du Sahara. « On évitait de le regarder trop en face. On savait que les quatre Français étaient toujours gardés non loin de lui. On savait ce qu’il pouvait faire à ses prisonniers », confirme le reporter.

Le témoignage des otages libérés
C’est que les faits d’armes du chef d’Aqmi sont connus. C’est lui qui en 2009 a assassiné l’otage britannique Edwin Dyer après l’échec des négociations avec Londres. Un an plus tard, le Français Michel Germaneau, un homme de 78 ans privé de soin, meurt malgré une tentative de libération de l’armée française. Les témoignages de ses anciens captifs libérés décrivent tous l’emprise qu’il inspirait à ses troupes. Sa cruauté froide aussi. Le diplomate canadien Robert Fowler a raconté comment Abou Zeid avait refusé de fournir des soins à deux prisonniers souffrant de dysenterie.

Pierre Camatte, détenu pendant 89 jours en 2010, se souvient lui aussi, d’un homme méthodique et calculateur. « Il m’a toujours parlé sur un ton neutre, sans agressivité. Ses questions étaient presque techniques. » Abou Zeid ne dit rien de son identité ni de ses intentions. Il laisse le doute miner l’otage. Négociations ? Exécution ? L’humanitaire ignore la logique d’Abou Zeid. Mais Camatte comprend rapidement que c’est lui le vrai chef du commando qui l’a capturé. « Il ne se mélangeait pas avec les autres ravisseurs, qui le consultaient régulièrement. »

Françoise Larribe, captive pendant cinq mois fin 2010, de son côté, décrivait récemment l’émir qui s’est entretenu avec elle avant de la relâcher. « C’était la deuxième fois que je le rencontrais. La première fois pour le tournage d’une vidéo. Il est maigre, petit, ascétique, tout en mouvement et porte un fusil qu’il ne quitte jamais. La deuxième fois, ce fut pour mon départ. Je me suis assise sur une couverture à côté de lui. Il m’a interrogée pendant 45 minutes. » Abou Zeid pose des questions précises, parfois très personnelles. « Il m’a peut-être rencontrée pour que je témoigne du fait qu’il nous détenait et qu’il était le décideur. »

Tanguy Berthemet, Lefigaro.fr, le24 Mars 2013


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