Les actions auprès des entreprises

Le fait que certaines victimes, via leur association de victimes ou leur Fédération, se rapprochent des entreprises étant à l’origine de la catastrophe les ayant frappé afin d’entamer un échange avec elles sur la sécurité et la prévention des risques ne manquent pas de surprendre et même d’interpeller les personnes extérieures, et même les entreprises concernées.

Cela d’autant plus que parallèlement ou précédemment, les victimes sont engagées en qualité de parties civiles dans les procédures pénales, en soutien de l’action afin de sanctionner les comportements fautifs de ces entités ou de leurs responsables.

A l’occasion du procès de l’explosion au gaz de l’avenue Eiffel à Dijon, Jacques Bresson a expliqué au tribunal le sens de ces actions auprès des entreprises et pourquoi ces démarches nous semblent à la fois légitimes et cohérentes avec les objectifs que nous portons.


Intervention de Jacques Bresson le 21 février 2006 devant le tribunal correction de Dijon

"Monsieur le Président, je vous remercie de m’autoriser à prendre la parole. Après les témoignages bouleversants que nous venons d’entendre, mon propos risque de paraître un peu institutionnel. Pourtant la Fenvac n’est pas une institution. Elle est composée entièrement et exclusivement de victimes, et de leurs associations. J’ai perdu moi-même mon fils aîné au cours de la catastrophe de la gare de Lyon. Depuis, je me suis consacré à tenter d’améliorer le sort des victimes et familles de victimes d’accidents collectifs.

La FENVAC rassemble aujourd’hui les victimes et familles de victimes de cinquante cinq accidents collectifs et catastrophes de toute nature.

La FENVAC n’est pas un organisme qui tombe du ciel pour se constituer partie civile, la FENVAC, c’est les victimes. Il existe une grande proximité entre notre fédération et les personnes qui, à travers la France, ont subi les terribles conséquences de ces divers drames. Au long de ces six années, nous avons été très proches des familles des victimes de l’explosion due au gaz de l’avenue Eiffel à Dijon. A tel point que notre Assemblée Générale de 2001 a choisi pour présidente Madame Sylvie Forest, maman d’une jeune fille décédée avenue Eiffel.

La FENVAC s’est donné pour objectif d’aider les personnes plongées brutalement en plein drame, de les conseiller dans tous les domaines grâce à l’expérience accumulée par des centaines d’autres familles de victimes de drames analogues. La FENVAC rassemble aussi les victimes pour exprimer leur point de vue face aux pouvoirs publics, et contribuer ainsi à améliorer leur prise en charge par la société.

A titre d’exemple, au nom de la FENVAC, j’ai participé en 2003 à une commission du Conseil National de l’Aide aux Victimes, au Ministère de la Justice, qui a conduit à éditer ce guide méthodologique intitulé « La prise en charge des victimes d’accidents collectifs ». Si nombre de mes propositions ont été reprises dans ce guide, c’est parce que tout le monde sait bien que ce que dit la FENVAC, c’est ce que pensent les victimes. La FENVAC est crédible aux yeux de tous pour cette raison. J’ai demandé que cette commission entende Sylvie Forest, qui a exposé comment, après l’explosion du 4 décembre 1999, et en raison de la façon dont les familles avaient été traitées, elle avait demandé et obtenu du préfet de la Côte d’Or la création dans le plan rouge d’une « cellule d’accueil et d’information des familles ».

Notre proposition a été intégralement reprise, et on pourra lire la fiche technique n° 2 bis qui détaille l’objectif, la composition et les missions de cette cellule. Ainsi, s’appuyant sur le témoignage, sur le vécu des victimes, la FENVAC a pour ambition de faire progresser les esprits et les lois. C’est la FENVAC qui a obtenu le vote par le Parlement de l’article 2-15 du Code de Procédure Pénale, ainsi que ses amendements, dont l’un a été pris après que l’agrément de l’association des victimes de l’avenue Eiffel eût été rejeté.

La FENVAC rassemble aussi les victimes de catastrophes pour suivre avec elles les dossiers de ces accidents, en connaître les causes, savoir quelles fautes ont été commises pour en tirer toutes les leçons de façon à ce qu’ils ne se reproduisent pas.

Les victimes attendent de la justice qu’elle fasse toute la lumière sur les causes de la catastrophe, qu’elle dégage les responsabilités éventuelles, qu’elle désigne les fautifs, les juge et les sanctionne à proportion de leurs fautes. C’est le long chemin de la procédure pénale, sans lequel nul ne peut croire que les familles des victimes pourront un jour se reconstruire et vivre avec cette douloureuse absence.

Nous avons inscrit sur le petit dépliant de la FENVAC une phrase qui sonne comme sa philosophie : « Nous voulons qu’ils ne soient pas morts pour rien ». Qu’une telle catastrophe ne se reproduise pas, que les leurs ne soient pas morts pour rien, vous entendrez toutes les familles de victimes d’accidents collectifs prononcer ces phrases. Si leur drame est irréversible, qu’au moins d’autres n’en subissent pas de semblables.

Ce n’est sans doute pas son moindre mérite, d’ailleurs, la FENVAC en incitant les familles à agir pour la sécurité de leurs concitoyens, les engage dans une démarche très réparatrice pour elles-mêmes. Au fond de leur malheur, si elles ont le sentiment que leur drame a été pris en compte, que grâce à leur action toutes les leçons en ont été tirées et qu’un accident semblable ne se reproduira plus, elles peuvent se dire que la mort d’un être qui leur était cher aura peut-être contribué à sauver d’autres vies, et y trouver un certain apaisement. Ainsi a été inscrit dans nos statuts, dès le premier jour, l’objectif de prévention des accidents qui répond à ce besoin profond des victimes, et qui consiste, pour les familles des victimes d’un type d’accident ou leurs représentants, à rencontrer les entreprises dont l’activité peut entraîner des risques collectifs, et les pouvoirs publics concernés, afin d’améliorer la sécurité des personnes réunies ou transportées collectivement. C’est pour satisfaire à cet objectif et répondre aux besoins des victimes d’explosions dues au gaz que nous avons engagé avec Gaz de France, en rencontrant le président Gadonneix en mars 1999, une série d’entretiens sur la prévention des accidents liés au gaz. C’est cette action de prévention que je veux évoquer maintenant pour avoir conduit jusqu’au 31 décembre 2004 le groupe de travail de la FENVAC.

En 1999, de mars à décembre, nous avons eu un rythme soutenu de réunions, focalisées sur les accidents après compteur, dus par exemple aux mauvais branchements par les particuliers des appareils de chauffage ou de cuisson, qui représentaient à l’époque 95% des accidents dus au gaz. Et de fait, les victimes qui m’entouraient dans ce groupe de travail l’avaient été de ce type d’accident. Et nous réfléchissions uniquement dans ce sens à l’amélioration de la sécurité.

Puis il y eut le 4 décembre 1999, et les onze victimes de l’avenue Eiffel. Nous avons alors découvert qu’il restait sous nos pieds partout en France des milliers de kilomètres de canalisation en fonte grise, cassante. Au milieu de nos villes, c’est-à-dire dans ce que l’on a appris à appeler des « zones sensibles ». Depuis, pas une de nos réunions ne s’est déroulée sans que nous ne demandions le raccourcissement du délai de résorption de ce réseau dangereux. Notre défenseur, Maître Sophie Pujol-Bainier, dira ce que pense la FENVAC de ce retard qui a entraîné et l’explosion de Dijon et celle de Mulhouse, et plusieurs autres moins connues uniquement parce que leur bilan en nombre de victimes a été moins catastrophique.

Pour ma part, je voudrais conclure en disant que notre présence aux côtés des victimes est naturelle, ici au cours du procès comme elle l’a été depuis six ans. En revanche, notre présence comme partie civile peut être mal comprise, dans la mesure où nous pouvons donner l’impression de combattre l’entreprise avec laquelle nous participons au long de l’année à des réunions de travail sur les questions de sécurité.

C’est qu’à nos yeux, loin d’être contradictoires, ces deux démarches sont complémentaires, toutes deux sont tournées vers la prévention des accidents. Car la procédure pénale, avec son instruction qui seule permet d’aller au fond des choses, avec la médiatisation de ses mises en examen, avec son procès public qui est toujours une heure de vérité, avec la sanction pénale qui, même si elle est considérée comme dérisoire par les familles au regard du drame qui est le leur, vient confirmer que des fautes ont été commises, cette procédure pénale est un élément essentiel de la prévention des accidents. Elle a, en elle-même, une valeur exemplaire qui est de nature à alerter et à responsabiliser tous ceux qui jouent un rôle dans la sécurité collective de leurs concitoyens.

La FENVAC ne peut donc pas être absente de cette procédure, et elle a attendu dix ans avant d’y être autorisée l’an dernier par le troisième alinéa de l’article 2-15.

Dans cette démarche, la FENVAC entend, au côté des victimes et de leurs associations, incarner à travers toutes ces affaires la permanence d’un combat contre la négligence, l’imprudence, le non respect des règlements, et tous les comportements qui entraînent les catastrophes.

Aujourd’hui Monsieur le Président, après ces débats très difficiles mais très instructifs, ce que la FENVAC attend de votre Tribunal, c’est qu’il tienne compte de la souffrance des victimes, de la souffrance de leurs parents, et que ses décisions soit pédagogiques à l’adresse des entreprises qui seraient tentées, souvent pour des raisons financières, d’oublier que la sécurité des personnes est toujours la priorité absolue."


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