5 ans après les tueries de Mohamed Merah, premier épisode d’une vague inédite de terrorisme en France

Le 19 mars 2012, Merah tuait 3 écoliers et un enseignant juifs devant l’école Ozar Hatorah de Toulouse. Il ouvrait le chapitre d’un nouveau terrorisme : français, appuyé par l’étranger, et multipliant les cibles.

Il y a un avant et un après Mohamed Merah. Le visage de ce jeune homme de 23 ans, un sourire presque enfantin aux lèvres tandis qu’il fait des dérapages en voiture sur un terrain vague, a marqué les esprits de la France entière. C’était le 21 mars 2012, et l’on découvrait l’ennemi public N°1, le "tueur au scooter".

Quelques jours plus tôt, entre le 11 et le 19 mars, Mohamed Merah a tué sept personnes au nom du jihad. Le 11 mars, il abat le sergent-chef Imad Ibn-Ziaten d’une balle dans la tête à Toulouse. Le 15 mars, il tue deux militaires et en blesse un grièvement avec la même arme automatique, à Montauban. Le 19 mars, il tue trois écoliers et un enseignant juifs devant l’école Ozar Hatorah de Toulouse. Il sera abattu le 22 mars par la police.

Ce dimanche 19 mars, cinq ans après, Bruno Le Roux participe à une cérémonie commémorative à l’école juive (rebaptisée Ohr Torah), en présence notamment du rabbin de Toulouse. Pour la première fois depuis 2012, l’établissement a été ouvert pour un moment de recueillement.

Depuis ces sept assassinats, le jihadisme a fait 242 morts en France, avec les attaques de janvier 2015 à Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, du 19 avril à Villejuif (avec l’assassinat d’Aurélie Châtelain), du 26 juin à Saint-Quentin-Fallavier (un patron est décapité), du 13 novembre à Paris et Saint-Denis, du 13 juin 2016 à Magnanville, du 14 juillet à Nice et du 26 juillet à Saint-Etienne-du-Rouvray. Et potentiellement ce samedi à Orly...

Si la France avait déjà été la cible d’un terrorisme nourri par l’influence de groupes étrangers, avec les attaques de 1995 attribuées au Groupe islamique armé (GIA) ou celles du Gang de Roubaix en 1996, les assassinats de Mohamed Merah marquent un tournant dans l’histoire récente du terrorisme en France. Le profil du tueur, son mode opératoire et ses revendications ont trouvé un écho dans les récentes attaques qui ont frappé le pays.

Un nouveau profil de terroriste

Les attentats de Mohamed Merah sont les premiers revendiqués par Al-Qaïda sur le sol français. Depuis, les frères Kouachi ont eux aussi dit agir au nom de la branche yéménite du groupe après avoir tué douze personnes lors de l’attentat de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015. Al-Qaïda comme le groupe État islamique (EI) menacent régulièrement la France à travers des vidéos ou des entretiens publiés par leurs organes de communication.

Alors que les services de renseignement étaient habitués à des réseaux organisés, souvent venus de l’étranger, ils découvrent avec Merah un nouveau genre de terroriste, au profil désormais bien connu : celui du jeune natif de France en perte de repères, réfugié dans l’idéologie jihadiste. Trop vite qualifié de "loup solitaire" par le patron du renseignement intérieur de l’époque Bernard Squarcini, Merah réalise en réalité seul un acte prémédité et appuyé à l’étranger.

Il avait en effet fait de premiers voyages en 2010 en terre de jihad. En 2011, dans les zones tribales pakistanaises, il avait pu entrer en contact avec le groupe Jund-al-khalifat, affilié à Al-Qaïda et dirigé par l’émir Moez Garsallaoui qui l’avait adoubé.

"Merah a été le premier terroriste global. Il a réussi à construire une mythologie, un personnage qui voyage dans le monde entier et ensuite revient en France", explique l’islamologue Mathieu Guidère, interrogé par Le Figaro. En 2012, le spécialiste décrivait déjà un terroriste au profil similaire à ceux qui ont frappé la France ces deux dernières années : "ce sont des individus issus du pays auxquels ils s’attaquent et qui le connaissent parfaitement. Ils se radicalisent dans leur coin, font des repérages, mènent l’action de manière solitaire et se revendiquent ensuite d’une organisation comme Al-Qaïda".

L’État pris de court

"Le cas Merah a fait sauter un verrou psychologique important : qu’un Français puisse s’attaquer à d’autres Français", résume-t-il auprès du Monde. Il a également "fait sauter le verrou de la multiplicité des cibles, selon le spécialiste. Non seulement les juifs mais également des civils et des militaires."

En même temps que la France prend position et s’engage à l’étranger, en Syrie, au Mali ou en Irak lors de l’opération Chammal, elle devient "le seul grand pays occidental à se mettre en avant", explique Mathieu Guidère. Elle se retrouve "sur le devant de la scène" et cristallise toutes les accusations des jihadistes. Elle devient une cible en soi.

En pleine campagne présidentielle en 2012, les services de renseignement ont été dupés par Merah, qu’ils n’ont pas vu venir, alors qu’il était inscrit en 2011 sur une liste d’activistes potentiellement dangereux. En juillet 2016, l’État a été condamné pour faute, après la plainte de la famille d’une victime, pour avoir levé la surveillance du tueur quatre mois seulement avant ses attaques.

Sous le choc, le gouvernement crée fin 2014 un délit d’entreprise terroriste individuelle. Mais il n’a donné lieu qu’à six procédures et une seule condamnation. Et la Cour de cassation a saisi le Conseil constitutionnel car le texte pourrait manquer de "clarté" et de "précision", au point de violer certains droits fondamentaux.

"Une place d’honneur dans le panthéon du jihad mondial"

Alors que 1995 avait tristement vu s’enchaîner les attaques réalisées à partir de bonbonnes de gaz remplies de clous, les attentats de Mohamed Merah signent aussi le début d’un jihad qui préfère l’utilisation des armes à feu. Récemment, des moyens d’action encore plus sommaires et tout aussi barbares ont été privilégiés, conformément aux instructions donnés par les groupes jihadistes, qui encouragent à utiliser n’importe quelle arme disponible. Le 14 juillet, Mohamed Lahouaiej Bouhlel a fait 86 morts sur la promenade des Anglais en fonçant dans la foule avec un camion.

Les images de la mort de Khaled Kelkal, l’un des principaux responsables de la vague d’attentats de 1995, ont marqué les esprits. En cavale depuis plus de trois mois, l’homme est abattu par les policiers devant les caméras de M6 et France 2. En 2012, les chaînes d’information en continu ont donné à la traque de Mohamed Merah une nouvelle dimension, que l’on retrouvera lors des attentats de 2015 et 2016. On suit -parfois jusqu’à l’excès- l’évolution de l’enquête minute par minute, l’avancée des forces de l’ordre, on entend les détonations lors de l’assaut, on en voit les émanations de fumée.

Mohamed Merah a lui-même utilisé l’image pour se construire un personnage. Une caméra GoPro fixée sur sa poitrine, il a tout filmé de ses actes. Le 22 mars, au terme d’un siège de 32 heures, les policiers retrouvent dans la poche de son jean une clé USB, avec toutes les images. Il a également pris soin d’envoyer un enregistrement, entrecoupé de musique et de versets du Coran, au siège parisien de la chaîne Al-Jazeera.

Cette vidéo, comme celles diffusées aujourd’hui par les organes de communication de Daech, a participé à la "starification" de Mohamed Merah et à l’acquisition de son statut de "martyr" chez les islamistes français. Dans son livre Merah, l’itinéraire secret, Alex Jordanov détaille la figure posthume du tueur de Toulouse et Montauban, "l’idole absolue des combattants d’Allah", qui a "une place d’honneur dans le panthéon du jihad mondial". "Je vais faire cinq fois Merah au 14 Juillet", s’était ainsi vanté Mehdi Nemmouche, le tueur présumé du Musée juif de Bruxelles.

Un pion du cercle islamiste toulousain

Les tueries de Mohamed Merah ont mis en lumière l’existence d’une galaxie islamiste toulousaine, que les services de renseignement suivent toujours de très près. Fabien Clain, qui vivait au Mirail, a revendiqué les attentats de Paris et Saint-Denis, dans un message audio de l’EI. Il a correspondu avec Mohamed Merah pendant leurs années respectives de détention.

Son frère, Jean-Michel, fait lui aussi partie de cette nébuleuse. Le demi-frère par alliance de Mohamed Merah, Sabri Essid, est aussi soupçonné d’avoir rejoint Daech en 2014. Mohamed Merah est aussi lié à Olivier Corel, présenté comme son mentor, qui vit actuellement à Artigat, petit village d’Ariège, où il est soupçonné d’avoir reçu plusieurs jihadistes venus des cités toulousaines.

Le frère de Mohamed Merah, Abdelkader, sera quant à lui jugé pour complicité d’assassinats terroristes en octobre, dans le procès des tueries de son frère. Aux yeux des juges antiterroristes, il est "le seul" avec qui son frère "avait partagé ses intentions" et qui "a été associé à certains des actes préparatoires" aux attaques.

Cinq ans après ce traumatisme, un homme tente de "faire entendre la voix d’un autre Merah". Le deuxième frère de Mohamed Merah, Abdelghani, a entamé une longue marche à travers la France au début du mois de février, pour alerter sur la montée de l’intégrisme religieux.

Source : huffingtonpost.fr
Auteur : Claire Digiacomi
Date : 19 mars 2017

Crédit photos : Source : huffingtonpost.fr Auteur : Claire Digiacomi Date : 19 mars 2017

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